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chez Larcier, avec Jonathan Wildemeersch, semblait couler dans le même esprit, qui grattait le sacro-saint principe de la séparation des pouvoirs. Aujourd’hui, il récidive avec Pouvoir politique et audace des juges. Approche européenne et comparée 1 , un livre publié chez le même éditeur et qui avance que les hommes de loi exercent, dans les faits, une fonction politique lorsqu’ils se prononcent sur toute une série de thématiques très actuelles à propos desquelles il n’existe pas de législation idoine. Qu’il s’agisse du droit à l’oubli sur internet, des nou- velles questions de genre, des cigarettes électroniques, de singularités institutionnelles… Les magistrats règlent de plus en plus de problèmes politiques et sociaux. Et s’ils ne sont pas censés “faire” le droit, bon nombre de décisions de jurisprudence s’appliquent en réalité à tout le monde. Du coup, « les juges doivent accepter de voir autre chose que le seul litige qu’ils tranchent, en prenant en compte leur effet sur la collectivité, en intégrant certains critères et en anticipant cette portée collective. Une thèse, développée à la fin du livre, est que l’on tranche jusqu’à présent uni- quement à partir des grandes libertés fondamentales. Ce qui finit par donner au citoyen l’impression qu’il a plein de droits. Et plus il en a, plus il en réclame. Ne favoriser que les droits et les libertés, c’est finalement promouvoir une forme de société individualiste. Alors, quel autre fondement pour- rait servir de base pour les décisions de juges ? Il faudrait peut-être remettre en avant une perspective de recherche d’égalité entre les individus pour trancher les litiges. Cela reste une vraie question d’organisation de la société. » Éduqué dans une société ardennaise où le poids des autorités morales et des traditions est survalorisé et ne permet pas facilement aux individus d’être autonomes et libres, cet amoureux de Paris né à Malmedy ne doit pas être considéré comme un disruptif. Mais il est depuis tou- jours animé par une vigilance personnelle à déceler tous les mécanismes d’abus d’autorité et de pouvoir émanant des autorités politiques ou des acteurs publics… et demeure attentif aux mots utilisés, aux connivences entre ceux-ci ou aux sous-entendus qui en sont quelquefois les signes. « Les juges peuvent être un rempart contre ces dérives. Et quand on s’attaque à eux, ça en dit long sur de potentiels abus de pouvoir dans une société », grince notre interlo- cuteur avec cette pointe d’accent liégeois tendance arden- naise, comme l’a un jour qualifié l’une de ses étudiantes. Licencié en science politique (2007) et docteur en science politique et sociale (2012) au sein de ce que l’on appe- lait encore l’ULg, Geoffrey Grandjean se définit tel un pur produit liégeois, malgré un passage à Bruges en 2008 et l’obtention d’un master of “Arts in European Political and Administrative Studies” du Collège de l’Europe. Depuis 2014, il est chargé de cours à la faculté de Droit, de Science politique et de Criminologie à l’ULiège. « C’est une période assez stressante et angoissante car on a une période probatoire de trois ans au cours de laquelle on peut être mis à la porte si l’on ne convient pas , se remé- more le faux rescapé. Il s’agit de publier suffisamment, de bien donner ses cours et de rendre beaucoup de services à la communauté . » Ses recherches et ses enseignements portent sur l’interaction entre les règles juridiques et les rapports de pouvoir (chaire “Norme et Politique”). Il est spécialisé dans l’étude des institutions belges (locales, fédérées et fédérales) et dans les études sur la mémoire. Sa thèse de doctorat avait d’ailleurs été consacrée à la mémoire du génocide juif en Belgique et il dirige actuelle- ment les Cahiers Mémoire et Politique . Depuis 2018, cet académique souriant est également professeur invité à la Haute École de la province de Liège dans le cadre du certificat d’éducation à la philosophie et à la citoyenneté. Et à côté de ses activités universitaires, les Écoles provinciales d’admi- nistration de Liège et Namur l’accueillent comme chargé de cours. « Je forme les fonc- tionnaires locaux, commu- naux et provinciaux en droit public, sur le fonctionnement de l’État et du paysage poli- tique belge qui repose sur l’importance des règles de droit, souligne-t-il en citoyen particulièrement attentif à la bonne santé de notre démo- cratie. « La chaire “Norme et Politique” de l’ULiège reste, elle, un peu particulière parce qu’elle s’adresse aux trois composantes de notre Faculté. Je donne cours à la fois à des politologues et à des juristes, ce qui me demandait un peu de sortir Le conflit d’idées reste une bonne chose pour la vitalité de notre système démocratique 1 Geoffrey Grandjean, Pouvoir politique et audace des juges. Approche européenne et comparée, coll. “Idées d’Europe”, Larcier, Bruxelles, octobre 2018 janvier-avril 2019 / 272 ULiège www.uliege.be/LQJ 37 le parcours

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