LQJ-272

S elon les chiffres de l’Inami, le nombre d’invalides (personnes frappées d’une incapacité de travail de plus d’un an) est passé de 204 000 en 2004 à 347 000 en 2015, soit une augmentation de 70% en 12 ans. Et la croissance semble s’accélérer sur les deux dernières années. « Il faut noter que c’est en 2015 que la courbe des dépenses d’incapacité de travail a croisé celle des dépenses de chômage, fait remarquer Isabelle Hansez. Autrement dit, même si la baisse du chômage et des cir- constances conjoncturelles interviennent dans l’explication de ce phénomène, depuis cette date, nous dépensons plus pour les maladies liées au travail que pour le non-emploi. » Et les deux principales causes de cette invalidité sont les troubles psychiques (stress, burn-out, désengagement, etc.) et les maladies du système locomoteur, dont les maux de dos notamment. « L’analyse des données belges de l’enquête Eurofound 2015, précise Isabelle Hansez, montre que la santé générale et mentale ainsi que la qualité de sommeil des travailleurs s’est fortement détériorée depuis 2010. De même, le nombre de travailleurs qui déclarent que le travail a un impact négatif sur leur santé a augmenté. » LE PROGRAMME FEDRIS Que se cache-t-il derrière ces chiffres et ce ressenti ? Un chan- gement majeur de système socio-économique. Pour Isabelle Hansez, « l’intensification du tra- vail, la révolution numérique, les nouvelles formes d’organisation du travail et les nouveaux types d’emploi poussent souvent les travailleurs jusqu’au bout de leurs limites ». Avec comme résultat, notamment, ces maladies étranges que sont les burn/bore/brown-out ! Le burn-out, que l’on peut qualifier d’épuisement par sur-stimulation, est déjà relativement bien étudié (notamment au sein de l’équipe d’Isabelle Hansez). Il débute en général par une phase d’enthou- siasme du travailleur puis par un surinvestissement (ses efforts n’étant pas reconnus, le travailleur redouble d’ardeur), suivie d’une phase de désillusion (le travailleur fatigué et déçu s’isole, devient irri- table voire cynique) et enfin d’une incapacité à travailler. Face à ce processus, trois niveaux de prévention ont été définis et mis en place. La prévention primaire s’exerce sur les conditions de travail et sur son organisation. La secondaire, lorsque la personne montre les premiers symptômes mais qu’elle est toujours présente ou ne s’absente que pour de courtes périodes. Enfin, la prévention tertiaire vise la remise en selle de ceux qui ont quitté la sphère professionnelle depuis plusieurs mois. « Le projet qui sera testé sur le terrain dès à présent, et auquel nous avons participé pour la définition et la mise au point du protocole d’action, vise la prévention secondaire », explique Isabelle Hansez. Concrètement, il concernera de 300 à 1000 personnes des secteurs financiers et hospi- taliers, deux secteurs professionnels fortement touchés par les cas de burn-out. Les personnes repérées comme étant en souffrance pourront être adressées à Fedris par leur médecin généraliste ou le médecin du travail. « Nous avons établi un programme de prise en charge, d’accom- pagnement de ces travailleurs fragilisés qui comprend un ensemble de mesures à la fois individuelles (rapport au travail, psycho-éducation, approches psycho-corporelles ou cognitivo-émotionnelles) et organisationnelles (aména- gement des conditions de travail). Ce programme pourra s’étendre sur une période de neuf mois maximum et est très flexible selon les besoins de chacun. » Un programme neuf, inédit en Belgique, auquel l’équipe d’Isabelle Hansez a participé en sélectionnant les intervenants individuels et en les formant : « Nous avons déterminé des guidelines sur la manière dont les personnes doivent être suivies, mais c’est Fedris qui assure la gestion du projet et les interven- tions. Dans la suite, nous exploiterons les données ainsi récoltées pour voir si la prévention a été efficace, s’il y a eu évolution dans les symptômes. » ENNUI ET PERTE DE SENS Une telle prise en charge est loin, très loin sans doute, d’exister dans le cas de bore/brown-out, ne serait-ce que parce que ces “maladies” n’ont pas encore bénéficié d’au- tant d’intérêt de la part des scientifiques. Le bore-out peut se définir comme un “épuisement par ennui”. Un ennui qui peut naître d’une situation de travail peu stimulante – travail monotone, répétitif, standardisé – ou d’une sous-charge de travail (des individus avouent avoir terminé leur tâche quotidienne à la pause de midi), mais il peut aussi être dû à un décalage entre un besoin de stimulation ressenti par le travailleur et ce que lui offre son emploi (l’employé se sent alors surqualifié et estime vite avoir fait “le tour du job”). Avec quelles conséquences ? « Certains se construisent une identité transitoire, observe Isabelle Hansez. Ils se mettent en mode off en quelque sorte dans l’attente d’un La souffrance naît de l’absurdité des tâches demandées janvier-avril 2019 / 272 ULiège www.uliege.be/LQJ 65 omni sciences

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