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D ans l’ombre d’immenses hangars se trouve le bureau de David Eskenazi, responsable des pro- jets batteries, au sein de la recherche chez Prayon. On ne longe pas autrement qu’en voiture ces monstres entourés de citernes et de tuyauteries, qui s’étalent le long des rives mosanes. La couleur de l’acier rouillé ne domine plus depuis longtemps. En guise de neiges éternelles, une couche éclatante de phosphate ronge la tôle, patiem- ment. Dans le domaine, le groupe belgo-marocain est un leader mondial. Le sol marocain compte près de 70 % des gisements de phosphate identifiés autour du globe. À Engis, Prayon transforme ce qui a été extrait de la roche en poudre et décline le minerai en plusieurs branches, dont la plus importante reste celle des engrais. « Mais, depuis une dizaine d’années, nous développons des procédés de fabrication de LFP (lithium fer phosphate), un matériau qui vise à remplacer certains métaux critiques comme le cobalt ou le nickel dans des batteries lithium-ion », explique David Eskenazi. L’implantation-pilote produit une trentaine de tonnes de matériaux par an, qu’elle fournit aux fabricants de cellules. Une ligne standard pourrait en sortir 3000. Mais cette activité suffit à Prayon pour se positionner au cœur de la chaîne de production, entre les laboratoires universitaires et les géants industriels. « Les usines d’au- jourd’hui fabriquent principalement différentes déclinaisons du lithum-ion ». Ces batteries contiennent deux électrodes (cathode et anode) séparées par un électrolyte liquide. Les ions de lithium, en le traversant, chargent ou déchargent la batterie. « C’est une technologie ancienne, commercialisée dès le début des années 1990. Dans nos gsm, ce sont des batteries à base de cobalt (LCO), et dans les voitures, le plus souvent du cobalt, du manganèse et du nickel (NMC). Les LFP ont connu une expansion plus récente. Elles ont géné- ralement une capacité plus faible que les batteries au NMC, mais sont plus stables et présentent moins de risques d’in- cendie. L’extraction du phosphate, bien plus concentré dans la roche que le cobalt, est aussi moins polluante. Sans parler des complications politiques qui entourent ce dernier », note David Eskenazi. La presque totalité des gisements de cobalt se trouvent effectivement au Congo, qui connaît autour de cette exploitation d’importants troubles sociaux. C’est l’une des réalités les plus médiatisées des activités extractives, qui continuent d’alimenter par endroits des instabilités politiques au détriment des populations locales. En réaction, l’industrie des batteries cherche à explorer d’autres pistes (même si, au rythme actuel, le phosphate est promis à de proches pénu- ries) et à garantir une extraction plus éthique et plus équi- table des métaux plus critiques. L’urgence de la récupération UN LONG CHEMIN VERS LE DURABLE Le LFP ne satisfera pas les besoins de performance et d’autonomie des batteries mobiles et automobiles, à l’ex- ception de véhicules citadins comme les voitures de loca- tion ou les transports en commun. Étant donné la bonne santé des technologies numériques et l’essor des véhi- cules électriques, les batteries contenant du cobalt restent promises à la plus forte croissance pour les prochaines années. Leur instabilité et leur coût freinent cependant leur développement dans la filière du stockage du renou- velable. Une voie royale pour le LFP, qui doit tout de même composer avec un outsider : la batterie à flux. À Seraing, le grand micro-réseau intégré (Miris) est équipé de ces deux technologies concurrentes [voir p. 45]. Contrairement au lithium-ion, les deux électrodes de la batterie sont liquides et séparées en deux réservoirs. À l’aide d’une pompe, les deux produits sont injectés au niveau d’une cellule qui génère des électrons. Un système d’une simplicité déconcertante, connu depuis le XIX e siècle. Sa taille impor- tante n’étant pas un frein aux applications stationnaires, il connaît un pic d’intérêt face au lithium-ion. Toutes ces technologies soulèvent de nombreuses questions. Face aux possibles alternatives, elles domineront cependant le marché des batteries pour les années à venir. Tension sur les batteries Stocker l’électricité, le graal de notre époque À Seraing, CMI inaugurait en octobre 2018 la plus importante station-pilote de stockage d’éner- gie verte en Europe. Il faut dire que les techno- logies en la matière ont beaucoup évolué, les batteries au lithium-ion ont le vent en poupe et ouvrent de nouvelles perspectives d’organisa- tion de notre société. Cette transition énergétique esquisse-t-elle pour autant un avenir plus vert et plus durable ? De l’extraction au recyclage des métaux, l’ensemble de la chaîne de production des batteries reste soumise à de considérables enjeux sociétaux, environnementaux, écono- miques et politiques. Ce petit monde négocie aujourd’hui son avenir, entre effervescence scien- tifique et fines marges de manœuvres industrielles. DOSSIER PHILIPPE LECRENIER E. Pirard Broyage de panneaux photovoltaïques 40 mai-août 2019 / 273 ULiège www.uliege.be/LQJ mai-août 2019 / 273 ULiège www.uliege.be/LQJ 41 omni sciences omni sciences

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