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matière d’assistance sociale aux détenus étant davantage dispersées, dix années ont été nécessaires avant qu’un accord de coo- pération ne soit publié en 2015. Enfin, l’appli- cation des principes avant-gardistes de la loi s’est heurtée à la culture pénitentiaire belge. Celle-ci se compose de multiples méca- nismes de résistance au changement parmi lesquels figurent divers maux chroniques, dont : - un problème endémique de surpopulation carcérale ; - des problèmes aigus d’absentéisme du personnel (le taux moyen avoisinait en 2016 les 10%, dépassant 20% dans cer- tains établissements), qui renforcent des problèmes de sous-effectif ; - de fréquentes – et parfois très longues – grèves du personnel de surveillance, doté de puissantes associations syndicales dont les revendications portent généralement sur davantage de discipline, de contrôle et de sécurité ; - le délabrement de plusieurs établisse- ments, aggravé par la tension qui s’exprime lors de certaines émeutes et en période de grève, ainsi que par le rythme des chantiers de rénovations urgentes ; - l’insuffisant niveau de formation du person- nel de surveillance. Ces maux tissent une culture carcérale où prime en permanence une exigence : le maintien de l’ordre ! Cette obsession sécu- ritaire vise à prévenir les évasions (ce qui revient à assurer la sécurité externe) et les désordres en détention, c’est-à-dire les phé- nomènes de violence, les émeutes ou les suicides (ce qui revient à assurer la sécurité interne). Cette culture entrave quotidienne- ment la réalisation d’objectifs légaux tels que la prévention des effets désocialisants de l’enfermement et l’accompagnement – indivi- dualisé – des détenus en vue de leur réinser- tion, de leur réhabilitation et de la réparation du tort causé aux victimes. Cette culture est en outre renforcée par le climat social plus large marqué par la peur de l’autre qu’at- tisent les politiques de lutte contre l’insécuri- té, présentées comme autant de moyens de contrôler les problèmes socio-économiques. C’est dans ce contexte que, depuis plus d’un an, l’ASBL Bruxelles Laïque (via Juliette Beghin et Cédric Tolley), l’ULB (via le Pr Philippe Mary), l’UCLouvain (via le Pr Dan Kaminski), l’université de Saint-Louis- Bruxelles (via le Pr Christophe Mincke) et l’ULiège ont fondé le Genepi Belgique ins- piré par le modèle français, mais différent. En effet, dans les années 1970, les détenus français mènent une intense lutte sociale contre leurs conditions de détention. À la suite de violentes émeutes, un conseiller du président Giscard d’Estaing contribue à fonder une association d’étudiants propo- sant des formations à destination des per- sonnes incarcérées en vue de favoriser leur réinsertion. Depuis lors, le Genepi compte quatre salariés, une quinzaine d’étudiants en service civique et quelque 800 bénévoles qui interviennent dans presque toutes les prisons françaises. Le savoir et l’expérience de cette association lui permettent égale- ment de prendre des positions publiques. Enfin, depuis 2014, elle définit ainsi son objet social : “participer au décloisonnement de la prison en établissant un lien entre les per- sonnes incarcérées et le monde extérieur”. C’est dans la continuité de l’histoire et de l’ex- périence du Genepi français que s’inscrit la naissance de l’ASBL homonyme en Belgique francophone. Fondée par l’assemblée consti- tuante du samedi 24 novembre 2018, elle s’enracine dans les institutions universitaires francophones du pays afin de marquer son indépendance vis-à-vis de l’institution car- cérale et, par conséquent, de contribuer au décloisonnement de celle-ci, dans l’esprit de la loi de principes. C’est ainsi que les recteurs des universités concernées ont décidé de rati- fier les statuts du Genepi, manifestant par la même occasion l’engagement citoyen de leur institution en milieu carcéral. Comme l’indiquent ses statuts, le Genepi se définit comme “une association d’éducation populaire dont les objectifs sont les suivants : - mener une action d’éducation permanente à l’adresse des personnes incarcérées et de tous les publics intéressés ; Prison + citoyenneté + université = Genepi - contribuer à l’exercice du droit au savoir et à l’information des personnes incarcérées et, de manière générale, à l’exercice de leurs droits citoyens ; - informer et sensibiliser des publics larges et spécifiques à propos des réalités carcérales.” Afin de concrétiser ces objectifs, le Genepi compte d’abord sur des groupes locaux créés au sein de chaque univer- sité. Ces groupes locaux sont animés par des étudiants, des chercheurs, des enseignants, des membres du per- sonnel administratif et ouvrier, d’anciens étudiants, etc. Tous ces membres sont bénévoles et s’engagent pour une durée d’un an renouvelable plusieurs fois. Cet enga- gement consiste en diverses réunions destinées à définir des projets et des actions concrètes au niveau local. Cet engagement prévoit également que chaque membre suive un programme de formation à l’intervention sociale en pri- son². Un conseil d’administration et un comité scientifique définissent les dynamiques de formation et de soutien aux groupes locaux. À Louvain-la-Neuve et à Bruxelles (ULB et Saint-Louis), les groupes locaux se structurent autour de certaines initia- tives que menaient déjà certains kots à projets ou cercles d’étudiants. À Liège, par contre, la dynamique est à créer ! C’est dans cette optique que, depuis un an, les premières réunions du groupe local ont visé à définir et organiser un premier événement. Celui-ci s’est tenu le 21 novembre 2018 au cinéma Le Parc sous la forme d’un ciné-débat intitulé “Au bout de nos peines. Le sens de l’enfermement, et après ?”. Cet événement, organisé dans le cadre des Journées nationales des prisons 2018 3 , a bénéficié de la précieuse collaboration de la Maison des sciences de l’homme et des Grignoux. Il en appelle d’autres : confé- rences, débats, groupes de parole en détention, espaces de réflexion, canaux d’information, collectes de produits de première nécessité pour les femmes détenues, formations à la justice réparatrice, etc. Afin de réaliser ces projets, le Genepi compte rassembler étudiants et étudiantes provenant des diverses Facultés de l’ULiège et des Hautes Écoles du Pôle académique. Pour les soutenir et les motiver, l’appui du personnel scienti- fique, académique et administratif est précieux et, selon les étudiants, indispensable. C’est pourquoi, au-delà de l’appui de collègues issus des facultés de Psychologie (Jérôme Englebert et Fabienne Glowacz), Droit (Vincent Seron), Sciences sociales (André Lemaître et Jessica Joiris) et de Helmo (Salim Megherbi), l’appel est ici largement lancé aux personnes intéressées par ce projet à nous rejoindre et/ou à faire connaître cet espace d’engagement citoyen, critique et démocratique au sein de notre Institution. À bon entendeur ! * couriel c.dubois@uliege;be 2 Ce programme devrait prochainement prendre la forme d’un certificat interuniversitaire : https://genepibelgique.wixsite.com/genepi/formation ³ * https://www.jnp-ndg.be/index.php/fr/ 8 mai-août 2019 / 273 ULiège www.uliege.be/LQJ mai-août 2019 / 273 ULiège www.uliege.be/LQJ 9 l’opinion l’opinion

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