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Les charlatans du cancer : Offre thérapeutique et presse médicale dans la France des Lumières

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Dans ce nouvel ouvrage, Daniel Droixhe s'intéresse de nouveau à l'histoire des thérapies du cancer. Le traitement de ce que le XVIIIe siècle comprenait sous le terme de cancer a mobilisé des catégories très diverses d’acteurs de la santé.  On considère les relations qu’entretiennent avec le monde de la médecine « académique » ou « professionnelle » des promoteurs de remèdes suspects de « charlatanisme ». Une galerie des thérapeutes les plus répandus ou les plus contestés fait apparaître la mécanique d’un marché où entrent en jeu stratégies de crédibilité, organisation de réseaux, «  batailles des gazettes  », exploitation des tendances culturelles du moment (retour à la nature, mesmérisme), etc.

L’étude des concurrences opposant différentes catégories de soignants – médecins, chirurgiens, empiriques, auteurs de « remèdes à secret », guérisseurs – donne lieu à un essai de classification des organes affectés de « tumeurs » : sein, utérus, sexe masculin, foie, etc. Le parcours anatomique soulève la question de savoir si, comme il a été avancé (A. Skuse, Constructions of Cancer in Early Modern England, 2015), le cancer constituerait une maladie spécifiquement liée au genre féminin, dans la mesure où il est particulièrement lié au sein ou à l’utérus. En tant que “sex-specific disease”, le cancer se différencierait des tumeurs affectant des hommes, comme celles des organes génitaux, qui ne seraient nullement associées à des “traits pathologiques particuliers aux mâles” ou à “des aspects spécifiquement genrés de leur mode de vie”. L'auteur passe ici en revue, pour le XVIIIe siècle, les observations relatives à des “cancers” touchant le genre masculin. Il enregistre par ailleurs celles qui, les premières, font état de tumeurs liées au foie (notamment par l’abus de boissons alcoolisées), à la rate et peut-être au colon.

Dans un ouvrage précédent (Soigner le cancer au XVIIIe siècle: Triomphe et déclin de la thérapie par la ciguë dans le Journal de médecine, Hermann, 2015), Daniel Droixhe avait envisagé l’histoire du plus important remède considéré comme pouvant soigner le cancer, c’est-à-dire la ciguë (2015). La perte de crédit du traitement a ouvert la course à d’autres thérapies. Certaines mettent à contribution le règne végétal, comme l’illecebra chez le naturaliste Pierre-Joseph Buc’hoz, aux innombrables publications, à partir des Plantes qui croissent dans la Lorraine (1760-1765). Sur ce plan, la recherche anti-cancéreuse peut prendre des formes inattendues (Johann Caspar Sulzer, Découverte importante d’un topique propre à guérir les cancers ulcérés, 1766).

Si le terme de “charlatan” n’est pas explicitement appliqué aux auteurs de ces “découvertes”, d’autres font l’objet de poursuites acharnées de la part des autorités médicales. C’est le cas de Jean-Marie Gamet, qui obtient des autorités lyonnaises l’ouverture d’un “petit hôpital” afin qu’y soient traitées, par un remède de son cru, “quelques pauvres femmes” dont le cancer “aurait été préalablement constaté dans les formes juridiques” (1760). Le Collège de Saint-Côme, à Paris, ne cessera de poursuivre celui qui, en l’absence de tout diplôme, est devenu une référence médicale dans la capitale. En même temps, Gamet livre dans ses écrits (Théorie nouvelle sur les maladies cancéreuses, 1772; Traité des affections cancéreuses, 1777, etc.) une image curieuse, sinon originale, du fonctionnement des organes, témoignant d’une certaine maîtrise de la littérature sur le sujet.

Ainsi apparaît, à travers ces tentatives de traitement, la mécanique d’un marché où entrent en jeu stratégies de crédibilité, organisation de réseaux, « batailles des gazettes », exploitation des tendances culturelles du moment (retour à la nature, mesmérisme), etc.

L’écart entre l’arsenal médical des empiriques et de nouveaux traitements de la maladie va se creuser à l’approche de la Révolution à travers une mutation empruntant ses découvertes à la chimie, à l’électricité, à l’expérimentation animale ou collective et à l’anatomo-pathologie.

Le Nouveau Monde y apporte les espoirs de « découvertes » qui peuvent être pittoresques, comme celle des vertus prêtées au lézard du Guatemala (1782-1783), ou qui sont portées par des personnalités de premier plan. C’est ainsi que Benjamin Franklin encouragera la mise à l’épreuve anti-cancéreuse de la plante appelée pokeweed, c’est-à-dire le phytolacca ou « raisin d’Amérique ». Son « étonnante propriété », révélée par un des compagnons de James Cook et élève de Linné, sera confirmée par l’un des fondateurs de l’American Philosophical Society. La découverte d’un autre remède sera communiquée à Benjamin Rush, qui signera la Déclaration d’Indépendance et est considéré comme l’un des « Pères fondateurs de la nation américaine ». Il est singulier qu’un diplômé de l’Université de Pennsylvanie, William P.C. Barton, ait prôné dès 1808 le protoxyde d’azote dans le traitement du cancer, expérimentation qui constitue le « premier véritable progrès en matière de conquête de la douleur » (D.J.Th. Wagener, 2009 ; Jacques Rouëssé, 2011).

 

À propos de l'auteur

Daniel Droixhe, membre titulaire de la Société française d'histoire de la médecine, poursuit ses recherches sur l’histoire du cancer. Il publiera dans la revue Hippokrates une étude sur Tulp on Oncogenesis. The Transmission of Cancer from Fracastoro (1546) and De Castro (1603) to Pichler (1786). Membre associé du Centre interuniversitaire de recherche sur la première modernité (Canada), il collabore avec le Groupe de recherche sur Marc-Michel Rey de l’Institut d’Histoire des Représentations et des Idées dans les Modernités (UMR 5317, Université de Lyon, A. McKenna, C. Bahier-Porte, F. Vial-Bonacci). Il travaille, avec l’aide du CIPL de Liège (Fr. Putz), à l’élaboration d’une plate-forme européenne en bibliographie matérielle.

Références bibliographiques

Daniel Droixhe, Les charlatans du cancer : Offre thérapeutique et presse médicale dans la France des Lumières, Hermann, Coll. Histoire des sciences, 2018, 382 p.  ISBN : 978-2705697730

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