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De Rome à Paris. Retour sur l’origine du Musée moderne


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La Galleria delle Statue, avec dans le fond le Jupiter Verospi.

L’ouvrage d’André Gob, fruit d’une quinzaine d’années de recherche, apporte un regard nouveau sur l’histoire des musées. Une analyse minutieuse des sources historiques et archéologiques lui permet d’affirmer que le musée, tel que nous l’entendons aujourd’hui, trouve son origine au milieu du XVIIIe siècle en Italie, en France, en Allemagne et en Angleterre. En suivant pas à pas les premiers temps du Museo Pio-Clementino du Vatican et la Galerie des Antiques du Musée du Louvre, le muséologue montre en quoi leur création constitue une réelle rupture avec le Collectionnisme.

De nombreux « musées » existent déjà bien avant le siècle des Lumières. Mais même lorsqu’il s’agit de Collections publiques, l’accès n’y est autorisé qu’à de rares privilégiés munis de recommandations. Il ne s’agit aucunement de musées destinés au public tels que nous l’entendons aujourd’hui.

Rome

L’histoire du musée moderne commence réellement en 1770, lorsque le pape Clément XIV autorise le duc Mattei à vendre une partie de sa collection d’antiquités. Craignant que les œuvres ne soient achetées par des collectionneurs étrangers, le pape décide d’en acquérir une part importante, en imposant à la loterie pontificale d’en assumer le coût. « Nous voulons les acquérir pour les disposer dans un lieu public digne de les recevoir ». Clément XIV achètera ensuite d’autres statues auprès de familles que la situation financière oblige à vendre, ainsi que deux candélabres qui appartenaient à la princesse Barberini, non seulement dans le but de protéger le patrimoine romain mais aussi d’attirer les touristes qui constituent une source importante de revenus pour les États pontificaux.

Au contraire des autres « musées » du Vatican, le Museo Clementino est dès sa création explicitement destiné au public. Il verra le jour au palais du Belvédère, demeure d’été du pape, dans la cour duquel se trouvaient déjà les plus célèbres statues antiques depuis le XVIe siècle, abritées dans des niches fermées par de lourdes portes (Cortile delle statue). Après d’importants travaux de restauration, de consolidation et d’aménagement des salles pour accueillir les œuvres, le public y sera admis pour la première fois en 1772.

Giambattista Visconti, alors Commissaire des Antiquités de Rome, joue un rôle essentiel dans la définition et la mise en œuvre du projet muséal. Très sensible aux idées modernes qui étaient alors répandues sous l’influence des Lumières, il intervient dans les acquisitions et la muséographie, il dirige toutes les activités de restauration et coordonne les fouilles. Avec son fils Ennio Quirino Visconti, il publiera à partir de 1782 un catalogue scientifique exhaustif comprenant 7 tomes.

En 1774, Clément XIV décède et Pie VI, alors Trésorier général, est élu pape. Il ordonne à Michelangelo Simonetti, architecte des palais pontificaux, puis à Giuseppe Camporese, de construire un portique autour du Cortile delle statue qui va permettre de supprimer les portes des niches abritant les chefs-d’œuvre antiques et d’intégrer la cour à l’espace muséal. Sous le règne de Pie VI, le musée, qui s’appellera désormais Museo Pio-Clementino, est considérablement agrandi par des constructions nouvelles. À ce moment, les fouilles archéologiques deviennent un important moyen d’acquisition d’œuvres pour le Musée. Giambattista Visconti leur impose une importante évolution des techniques, avec relevés, plans, description du contexte, etc. 

Visconti est très sensible à la présentation didactique des œuvres. Pour plonger le visiteur dans l’ambiance antique, de très grandes mosaïques prélevées dans les thermes du site d’Otricoli sont intégrées. En 1792, le conservateur du musée, Pasquale Massi, éditera même un petit guide bilingue pour les visiteurs, qui suit un parcours séquentiel.

Mais en 1796, les troupes françaises dirigées par Bonaparte envahissent l’Italie. Le pape, se sentant menacé, signe le traité selon lequel il livre à la République française une très grosse somme d’argent et de nombreux chefs-d’œuvre artistiques en échange de quoi le gouvernement pontifical peut rester en place. Le Museo Pio-Clementino est dépouillé.

Une révolution gronde à Rome. Plusieurs notables, dont Ennio Quirino Visconti sont bien décidés à s’affranchir de l’autorité du pape. La Republica Romana est proclamée en 1798 et un gouvernement provisoire est mis en place. Visconti y sera Ministre de l’Intérieur. Le pape est arrêté par le général Berthier et conduit en France, en résidence surveillée.

La Republica Romana ne fera pas long feu. La ville est reprise. Ennio Quirino Visconti doit fuir. Il se réfugie à Marseille, en 1799 où il reçoit la proposition de devenir Antiquaire du Museum central des Arts, qui deviendra plus tard le Musée du Louvre.

Paris

À l’époque, le musée parisien est encore très petit. Bien que créé par un décret en 1793, il n’ouvrira ses portes qu’en 1800. Aucune activité scientifique n’y est menée. Les architectes successifs, Auguste Cheval de Saint-Hubert et Jean-Armand Raymond, ont tous deux visité le Museo Pio-Clementino et s’en inspirent à Paris pour aménager la galerie des Antiques, qui compte alors un certain nombre de statues issues des collections royales, des œuvres saisies à Rome par Bonaparte, ainsi que des œuvres confisquées à des nobles émigrés.

Ennio Quirino Visconti apporte la compétence nécessaire à la mise en place d’une réelle politique d’acquisition. En quelques mois, il fera venir de nombreuses œuvres récupérées des collections royales de Versailles, puis de l’ancienne très riche collection de Richelieu.

À partir de 1800, Bonaparte enrichira considérablement le musée par des saisies en Italie et en Allemagne lors de ses conquêtes. L’Empereur voit dans ce qu’on appelle désormais « Musée Napoléon », un élément de prestige extrêmement important. En 1807, par décret impérial, un fonds exceptionnel de 651 œuvres d’art est acheté pour le musée à son beau-frère, le prince Camillo Borghèse.

Cependant, l’activité scientifique reste balbutiante. Le premier inventaire des collections du Musée Napoléon ne sera achevé que dans les années 1820. En revanche, pour les visiteurs de la section des Antiques, Visconti a réalisé une petite brochure, sur le modèle du guide du Pio-Clementino.

Le Musée continue à s’agrandir et fait pâlir d’envie toute l’Europe. « Il n’est pas de souverain qui ne veuille maintenant avoir un musée à l’instar de celui de France » dira le directeur général du musée, qui a succédé à Dominique Vivant Denon.

Mais après la chute de Napoléon à Waterloo, le duc de Wellington, pour rabattre l’orgueil des Français, impose que les œuvres saisies par Napoléon soient rendues aux États. Les salles des Antiques vont alors considérablement se vider. Parallèlement, Wellington va transformer le British Museum en véritable musée ouvert au public sur le modèle du Louvre.

L'origine du Musée moderne

Par une analyse très minutieuse d’une somme très impressionnante de documents historiques, André Gob suit pas à pas le passage du collectionnisme au musée moderne qui s’opère au milieu du XVIIIe siècle. Pour la première fois, on conçoit un musée en fonction du public, dans la politique d’acquisition, de conservation, de restauration, dans la muséographie, le catalogage et les supports pédagogiques. Toutes ces missions ont même déjà au Museo Pio-Clementino un caractère scientifique et critique, grâce à la compétence du personnel qui y est affecté. On voit aussi que le musée est considéré d’emblée comme un élément de prestige et de rayonnement pour la ville et le pays. Toutes ces caractéristiques que l’ouvrage met en évidence démontrent la rupture majeure qui s’opère alors entre le musée moderne et le collectionnisme qui l’a précédé.

 

À propos de l’auteur

André Gob est archéologue et muséologue. Il a enseigné la muséologie à l’ULiège et a présidé le Conseil des musées de la Fédération Wallonie-Bruxelles de 2007 à 2019. Parmi ses publications les plus importantes, on peut citer La muséologie. Histoire, développement, enjeux actuels, paru chez Armand Colin, qu’il a cosigné avec Noémie Drouguet.

 

À propos de l’ouvrage

André Gob, De Rome à Paris. Retour sur l’origine du musée moderne, Presses universitaires de Liège, Série Histoire, 2019, 352 p. ISBN : 978-2-87562-219-8

De Rome à Paris

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