Covid-19 et confinement : opinion

Ados en confinement : l’équation impossible ?

Une situation à contre-courant des besoins des adolescents


Comment le confinement, bulle d’omniprésence familiale, est-il vécu par les adolescents, eux qui, pour se construire, ont tout autant besoin de se distancier des parents, de voir leurs amis que de pouvoir se retrouver seuls dans leur intimité ?

Fabienne Glowacz, professeure en Psychologie, pointe le contre-courant entre cette situation inédite et les besoins spécifiques des adolescents en plein développement, ainsi que les risques d’inégalités dans la façon de traverser cette crise, selon les conditions de confinement. Selon elle, il sera essentiel par la suite de proposer aux jeunes un espace pour décoder ce qui a été vécu et ce qui est à vivre.

Le confinement, un temps d’arrêt pour le développement des adolescents ?

Les adolescent·e·s sont en effet confronté·e·s, comme nous tous, à un phénomène exceptionnel. Mais ce confinement va imposer un mouvement risquant d’aller à contre-sens de leur processus de développement, d’autonomisation par rapport à la famille et de leur construction psychique. Les jeunes se construisent par leurs expériences et relations à l’école, dans leurs activités et loisirs, avec le groupe d’ami·e·s, le petit copain ou la petite copine, les adultes autres que les parents qui sont autant des figures signifiantes et de repères. Toutes ces « ressources » sont ici indisponibles ou fortement restreintes. Cette période de construction de leur personnalité et identité est mise à mal sans tout ce présentiel. Cela leur demande des ajustements, de la créativité, de la résilience, pour pallier à cette coupure avec l’extérieur.

Quels sont les besoins spécifiques des ados ? En quoi sont-ils menacés pour le moment ?

L’adolescence, période de vie complexe mais combien importante, se décline au travers de divers besoins « du dehors » (les autres, les amis) mais aussi de besoins « du dedans ». Les ados ont en effet besoin d’être seuls, d’avoir leur monde, leurs frontières, leur espace à penser, imaginer, rêver. « La chambre » est cet espace de l’intime qui leur est propre. Ce besoin d’intimité risque d’être compromis avec l’omniprésence parentale, voire celle des frères et sœurs, davantage lorsque le lieu de vie de confinement est restreint et surpeuplé. On doit relever là une première forme d’inégalité sociale entre les jeunes dans les conditions de confinement (le logement - espace disponible, présence ou non d’un jardin -, l’accès au numérique…). Les jeunes issus de milieux plus défavorisés vont ressentir avec plus de force cette période de confinement.
Par ailleurs, le besoin de rêver, d’imaginer, de s’enfuir par la pensée peut lui aussi être heurté par le confinement et la pandémie. Eux qui se sentent tellement invulnérables, comment vont-ils pouvoir réagir aux bouleversements du monde adulte, social, économique, médical ? Cela est inévitablement anxiogène. Certains seront dans le déni de la force de cette pandémie, d’autres seront paralysés par le stress que cela génère, et d’autres peut-être vont rêver à un monde meilleur et commencer à le construire dans leur tête. Mais pas seulement dans leur tête car les adolescents, et on les oublie peut-être dans tout ce qui se vit aujourd’hui, ont besoin de se sentir acteurs dans leur vie. Ici, ils sont en quelque sorte réduits à subir une passivité. Il serait intéressant de les mobiliser davantage dans des actions d’entraide, de solidarité à partir de chez eux… et ainsi de les voir participer au combat mené.

Est-ce que les réseaux sociaux remplissent un rôle ?

Il est clair que cette situation entraîne une hyperconnexion ! Même si les contacts virtuels ne peuvent remplacer un véritable échange fait de subtilité, de rigolade, de toucher, d’atmosphère, ils constituent la fenêtre vers l’extérieur, ils répondent à une nécessité pour les jeunes en ce moment. Les parents doivent peut-être porter un regard différent sur cette question durant le confinement. Mais sans oublier l’importance d’une supervision parentale, de règles claires, car voilà un autre besoin des ados qui vole en éclats : la structuration.

Le cadre reste très important pour eux ?

La question de la structure de la journée est capitale pour les jeunes qui ont par ailleurs le besoin de flâner, de rêver, de traîner… L’école notamment apporte cela, et sur le fond (horaires précis), et sur le contenu (matières, sujets, apprentissages,…). Il est difficile pour l’ado d’élaborer ce cadre seul. Certaines familles vont pallier ce manque avec un planning, un « règlement intérieur ». Et en même temps, il ne faut pas oublier que transgresser les règles constitue pour les ados une modalité structurante ! De nouveau, il s’agit d’un équilibre à trouver.

Dans d’autres foyers, par contre, les règles seront plus floues ou inexistantes...

Bien sûr. Et cela constitue une autre forme d’inégalité de ce confinement, du point de vue du vécu des ados. Outre le logement, l’expérience de confinement va dépendre du climat familial, de la qualité des relations. S’il est exposé à des tensions, du stress, des violences conjugales ou des attitudes violentes à son encontre, le jeune aura un vécu différent par rapport à celles et ceux qui évoluent dans une ambiance familiale où l’on sait se parler et se respecter. La situation économique des parents en ce temps de crise donne lieu également à de fortes inégalités dans le ressenti. Certains parents ont perdu une partie de leurs revenus, ou leur emploi, certains jeunes sont ici privés d’un job d’étudiant essentiel. La qualité de la nourriture, l’accès à un endroit dans la maison pour faire du sport : encore d’autres facteurs potentiellement « stresseurs » avec un impact psychologique pour les jeunes.

La parole serait alors essentielle pour eux ?

Cela touche à autre besoin des adolescent·e·s: trouver du sens, être sécurisé, rassuré. Même s’ils ne se montrent pas toujours disposés à discuter ou en demande explicite, il est important de communiquer avec eux, de s’adresser à eux. Peu d’attention est portée vers eux dans les médias, mis à part les annonces concernant le fonctionnement scolaire. Mais que ressentent-ils, comment comprennent-ils les décisions et enjeux, comment peuvent-ils projeter le futur ? Les jeunes se trouvent confrontés à l’impuissance de l’Homme face au virus, à l’impensable, à la mort. Ils ont un réel besoin de sens. Toutes les familles ne peuvent répondre à ces questions, ou les solliciter, de la même manière. Dans certains foyers, on échangera, on partagera ses sentiments, on analysera le vrai du faux. Et dans d’autres pas du tout. Il sera essentiel de proposer par la suite aux jeunes un espace pour décoder, débriefer ce qui a été vécu et ce qui est à vivre. Mais cela coïncidera malheureusement avec la (presque) fin de l’année scolaire...

Quelles perspectives pour le futur, du point de vue des ados ?

Il est bouleversant de constater que plus d’un tiers de l’humanité est à l’arrêt. Pour certain·e·s, une réflexion s’ouvre ou s’ouvrira peut-être vers des projets sociétaux, humanitaires, écologiques. Pour d’autres, moins ou pas du tout. Les ados sont témoins, comme nous tous, de cette expérience unique et des actions de solidarité qu’elle génère. Soit ils le vivent dans leur cercle proche, soit ils en entendent parler. Certaines initiatives sont véritablement exemplatives pour eux. Une piste intéressante pourrait être de s’appuyer sur l’art et la culture pour parler de cette crise et mobiliser « des figures emblématiques » (du monde de la musique par exemple) pour s’adresser à eux, mettre en mots ce qu’ils peuvent vivre, leur proposer des modèles auxquels ils peuvent s’identifier. La culture est particulièrement mise à mal en ce moment, mais constituera peut-être une des « voies de sortie » pour les jeunes, une façon de digérer les impacts traumatiques de ce que nous traversons.


Fabienne Glowacz et son équipe mènent une enquête en ligne destinée aux adolescents, abordant différentes facettes de leur vécu durant cette période de confinement.

Participer à l'enquête : pour les 12-18 ans

Participer à l'enquête : pour les + de 18 ans

FabienneGlowaczFabienne Glowacz est Professeure au sein de la Faculté de Psychologie, Logopédie et Sciences de l’Éducation de l’Université de Liège, directrice de l’Unité de recherche ARCh (Adaptation, résilience, et changement) et du service de Psychologie clinique de la délinquance de la Faculté de Psychologie. Elle travaille notamment sur diverses questions liées aux adolescents – processus de résilience, violences, cyberviolences, intimité, relations amoureuses, consommation...

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