COVID-19 et confinement : opinion

Consommation d'alcool : période à haut risque ?

Regard d'un professionnel du terrain


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Le confinement représente-t-il une situation à risque en termes de consommation d'alcool ? Comment se passe le suivi des personnes en assuétude ?

Le Dr Emmanuel Pinto, psychiatre et chargé de cours adjoint à l’ULiège, travaille au Centre Louis Hillier, l’une des trois unités du Pôle Alcoologie de l’Intercommunale de soins spécialisés de Liège (IsoSl). Cette structure propose des hospitalisations brèves, de jour ou de nuit, qui permettent la poursuite de l’activité professionnelle aux personnes qui souffrent d’une dépendance à l’alcool. Il partage son expérience du terrain.

Le confinement est une situation à risque ?

Tout le monde doit rester à la maison, mais pour les personnes un peu fragiles psychologiquement, ce confinement génère un surcroît d’angoisse. Objectivement la situation que nous vivons est anxiogène, et la déstructuration de notre cadre de vie (travail, loisirs, famille) accentue notre difficulté à vivre sereinement. Certain·e·s sont confronté·e·s brutalement à la solitude quand d’autres font face dans leur couple ou dans leur famille, à des tensions exacerbées. Cette situation peut aboutir à une consommation accrue d’alcool, on note d’ailleurs déjà une majoration des ventes de 10 à 15%. Le risque présent pour les individus angoissés ou déprimés, l’est aussi pour les patients abstinents confrontés à une crise individuelle et collective, ce qui constitue un stress supplémentaire à affronter. À cet égard, l’idée a priori sympathique de l’apéro virtuel (mais avec un verre de vin bien réel, lui) pourrait devenir problématique pour d’aucun·e·s. Entre parenthèses, ce qui est vrai pour l’alcool, l’est peut-être moins pour le cannabis, l’approvisionnement étant rendu plus difficile par les mesures de confinement…

La crise du coronavirus a-t-elle des conséquences dans votre Centre ?

Oui et non. Oui, parce que nous avons aménagé nos locaux afin de pouvoir accueillir de nouveaux patients dans de bonnes conditions. Ceux-ci sont tous placés en quarantaine à leur arrivée et, si des cas de Covid-1-9 étaient déclarés, ces personnes seraient confinées dans une unité spécifique. Non, parce que, à l’heure où je vous parle, nous n’enregistrons pas d’augmentation de demandes d’hospitalisation. Mais cela pourrait arriver.

Quel suivi pouvez-vous assurer ?

Les patients admis au Centre avant le 13 mars poursuivent le traitement mis en place, avec quelques modifications dues au respect des mesures de confinement, évidemment. Leur principal souci est l’absence de visite puisqu’il ne peuvent plus recevoir ni famille ni amis et qu’ils ne peuvent plus quitter l’établissement. Nonobstant ils sont globalement rassurés d’être à l’hôpital, même s’ils se montrent inquiets pour leurs proches. Les structures ambulatoires (consultations, hôpital du jour) sont à l’arrêt mais nous assurons toujours les gardes en cas d’urgence. Pour ma part j’essaye, par téléconsultations, de venir en aide aux patients afin qu’ils tiennent leur objectif à court ou moyen terme. Mais il faudra évaluer la situation lorsque sera organisé le déconfinement.

pinto e 2020-04-17 13-10-31 477-250Emmanuel Pinto est chargé de cours adjoint au Département des Sciences de la Santé publique (Faculté de Médecine), en pharmacologie et clinique des assuétudes. Il est spécialisé dans la prise en charge des consommateurs d'alcool, de drogues et de jeux.

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