COVID-19 et confinement : opinion

La santé, le socle à partir duquel repenser l’économie ?

La crise sous l'angle éthique

imgActu

La crise sanitaire actuelle révèle une imbrication totale des questions éthiques, médicales et politiques. 

Maître de recherches au FNRS dans l’unité de recherche Philosophie politique, Florence Caeymaex prendra la présidence du Comité consultatif de bioéthique au mois de mai. Elle interroge notre système de santé à l’aune des questions éthiques.

 

Quel regard portez-vous sur la crise que nous vivons ?

La crise sanitaire actuelle révèle une imbrication totale des questions éthiques, médicales et politiques. Tout est lié. Prenons l’exemple du “tri des patients” à l’hôpital. Ce modus opératoire – la priorisation des patients – s’applique partout dans le monde en situation de crise, quand les ressources sont rares. Anticipativement, la Société belge de médecine intensive (SIZ) avait rendu un avis éthique sur cette pratique, recommandant de réserver l’accès aux unités de soins intensifs en priorité aux personnes pour lesquelles cela est médicalement pertinent — listant à cette fin une série de critères. C’est ce que l’on appelle la “proportionnalité des soins”. Le comité d’éthique de la KUL a également publié un texte à cet égard sur lequel nous nous sommes basés au sein du comité d’éthique du CHU de Liège.

En résumé : les personnes âgées en grande fragilité, c’est-à-dire qui présentent une forte dépendance et des comorbidités importantes (maladies chroniques, troubles cognitifs), ne devraient pas être prises en charge de manière prioritaire dans les services de soins intensifs car les traitements pourraient ne pas être couronnés de succès, voire s’avérer fatals pour elles. Fréquemment utilisée, cette procédure relève du “bon sens”.

Dans les circonstances actuelles, les pensionnaires âgé·e·s des maisons de repos et de soins (MRS) ne sont dès lors plus transportés à l’hôpital, même si leur état le nécessite. Mais l’hôpital n’offre pas seulement des soins intensifs lourds ou invasifs ; nombre de patients âgés ont ainsi été privés de traitements adéquats, notamment palliatifs. Et c’est probablement le personnel soignant des MRS qui, bien malgré lui, a sans doute été un vecteur de contamination au virus Covid-19 puisqu’il ne disposait pas d’équipement de protection nécessaire. Là est le scandale ! La question devient alors éminemment sociale : quel sort réserve-t-on dans nos sociétés aux personnes âgées ? De l’éthique médicale, on débouche sur une question sociale et politique.

Autre exemple : on sait maintenant qu’il y a eu un foyer d’infection virulent en Seine-Saint-Denis dans la banlieue de Paris, et un autre dans une banlieue de Lyon. Par ailleurs, il semble manifeste qu’aux États-Unis, la population noire américaine est particulièrement touchée par le coronavirus. On soupçonne encore que l’obésité soit un facteur qui aggrave les risques en cas de contamination car le virus provoque une réaction inflammatoire laquelle est plus forte chez les personnes en surpoids, qui souffrent en outre fréquemment de problèmes respiratoires, d’hyper-tension etc. Et comme on sait, l’obésité entre en ligne de compte dans ce qu’on appelle les inégalités sociales de santé. Il y a donc une relation intime entre les conditions sociales des individus et l’augmentation des risques qu’ils courent face au virus : la précarité sociale expose davantage.

Dès lors, la “proportionnalité des soins” évoquée, favorise en fait indirectement les personnes qui ne présentent pas, ou peu, de comorbidités, c’est-à-dire celles qui appartiennent aux classes aisées. Cela pose donc des questions graves sur notre système de santé, mais aussi sur les inégalités structurelles qui affectent notre vie sociale.

Et demain ?

Soyons clairs : cette pandémie ne sera pas la dernière. Des catastrophes ont déjà eu lieu dans le passé avec de graves conséquences sanitaires : les canicules, les ouragans, mais aussi le HIV, le SRAS de 2003, et d’autres virus dont les liens avec la crise environnementale sont désormais établis. Comment imaginer que la “relance économique” dont parlent nos dirigeants se base, à nouveau, sur la surproduction, qui ne détruit pas seulement notre environnement, mais aussi notre santé ?

Comment pourra-on tolérer à l’avenir les dérives de l’industrie agro-alimentaire maintes fois dénoncées, et qui provoquent diabète et obésité ? Des médecins ont émis l’hypothèse que les médicaments contre l’hyper-tension pourraient avoir, indirectement, activé les récepteurs cellulaires du virus chez certaines personnes. Cela ne devrait-il pas questionner notre conception même de la santé ? Il faut d’urgence repenser la façon dont va reprendre l’activité économique, réexaminer la façon dont elle doit être transformée.

La crise que nous vivons aura révélé l’importance majeure de la santé, celle des humains, celle de la Terre. Dans son sens élargi, j’espère que la santé sera le socle à partir duquel sera repensée l’économie.

CAEYMAEX Florence Faculté de Philosophie et Lettres  Département de philosophie  Philosophie morale et politique  C(9) Florence Caeymaex est Maître de recherches au FNRS au centre de recherches de Philosophie politique. Elle est spécialisée notamment en philosophie et bioéthique et travaille sur les aspects sociétaux de la santé.

|

Partager cette news