COVID-19 & confinement : opinion

L’Université, entre fermeture des bâtiments et ouverture sur le monde

Perspective historique


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La crise du coronavirus a provoqué la fermeture des bâtiments universitaires. Mais l'Université est-elle pour autant fermée ? A-t-elle déjà connu une telle mesure au cours de son histoire ?

Interview de Philippe Raxhon, professeur au département des Sciences historiques de la Faculté de Philosophie et Lettres, co-auteur de Mémoire et prospective - Université de Liège (1817-2017) paru aux Presses Universitaires de Liège en 2017, lors du Bicentenaire de l’ULiège.

 

Il n’y a plus de cours à l’Université depuis le 13 mars.

Effectivement. Les règles du confinement s’appliquent à tout le monde, même aux institutions, surtout celles qui concernent 25 000 étudiants. Mais - c’est à souligner - l’Université n’est pas fermée : elle n’a jamais été aussi ouverte sur le monde, même si les conditions sont loin d’être idéales. Non seulement un dispositif de “cours à distance ” a été mis sur pied avec des enregistrements de leçons numériques, mais les chercheurs continuent aussi leur travail et prennent une part active dans le lutte contre la pandémie actuelle. Face aux circonstances, l’Université, une fois encore, riposte avec, de la part des enseignants, des chercheurs et du personnel administratif, beaucoup de bonne volonté.

L’Université de Liège n’a été fermée qu’une seule fois depuis sa création ?

Oui. Elle fut fermée, clé sous la porte, en août 1914, pour plusieurs années. Rappelons le contexte : le 4 août 1914, l’armée allemande attaque la Belgique et franchit la frontière en province de Liège. La ville est bombardée, le bâtiment central de l’Université est touché, des soldats allemands investissent les lieux et un hôpital de guerre y est installé. Le 20 août, c’est le drame de l’Émulation : les soldats allemands mettent le feu aux bâtiments de la place et exécutent une quinzaine de civils, des hommes innocents. Outremeuse connaît le même sort et les instituts de Zoologie et d’Anatomie sont vandalisés. La bibliothèque centrale est transformée en écurie, la collection Wittert est pillée, des instruments scientifiques disparaissent. En dépit des menaces, le conseil académique refusa la reprise des cours sous surveillance allemande. L’Université restera fermée pendant toute la guerre. L’année académique reprit le 21 janvier 1919, dans un certains chaos, on s’en doute.

La deuxième guerre n’a pas eu le même effet sur l’Université ?

Non. Les autorités allemandes n’ont pas voulu réitérer la même attitude, dans l’évident souci de ne pas heurter la population. Mais, dès 1939 beaucoup d’étudiants et quelques professeurs ont été mobilisés. Puis c’est l’invasion de mai 1940 et la défaite. Les activités s’interrompent jusqu’à l’automne 1940, moment où les cours reprennent. Pour l’anecdote, le théâtre universitaire de Liège naquit en 1941 et La tempête de Shakespeare fut au programme de sa première représentation…

L’Université Libre de Bruxelles, elle, s’est sabordée pour ne pas être “nazifiée”, les autorités allemandes ayant l’ambition de faire donner les cours par des enseignants nazis. Elle ferme ses portes et ses amphithéâtres, ce qui conduit des centaines d’étudiants bruxellois à rejoindre l’Université de Liège qui a décidé de les accueillir afin qu’ils puissent poursuivre leur formation.

À l’Université de Liège, le Recteur Léon Graulich – aidé par Jules Duesberg, ancien Recteur et par Marcel Dehalu – réussit à tenir tête à l’envahisseur. Il convainc les professeurs admis à la retraite de continuer leur enseignement afin qu’ils ne soient pas remplacés par des professeurs nazis et organise le saccage nocturne de son propre bureau afin que des étudiants complices dérobent la liste des inscriptions que réclamaient les autorités allemandes, lesquelles mettaient en œuvre le “travail obligatoire” en Allemagne. Des examens furent présentés clandestinement dans des caves afin d’échapper à la surveillance ennemie…

Malgré les nombreuses destructions de ses bâtiments, dont le Val Benoît qui fut totalement détruit, l’activité universitaire, bon gré, mal gré, a perduré pendant la Seconde guerre mondiale.

Raxhon-PhPhilippe Raxhon est professeur au Département des Sciences historiques à l'Université de Liège. Il donne notament les cours d'Histoire contemporaine et de Critique historique. Il travaille sur les processirs mémoriels, sur les relations entre l'histoire et la mémoire.

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