COVID-19 et (dé)confinement : opinion

« On a aussi le droit d’être affecté et d’avoir peur »

Qu'en est-il de la résilience ?


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Le concept de résilience est souvent utilisé pour expliquer la capacité des individus à affronter et dépasser des situations éprouvantes. Mais ce concept n’est-il pas associé à un impératif de performance, là où les personnes ont surtout besoin de pouvoir s’adapter, chacune à leur rythme, avec aussi leurs faiblesses ?

Entretien avec Jérôme Englebert, docteur en psychologie, maître de conférences à l’Université de Liège et professeur invité à l’Université de Lausanne. Jérôme Englebert est également psychologue, psychothérapeute, et psychologue clinicien à l’Établissement de Défense Sociale de Paifve.

 

On s’est adapté au confinement, il faut maintenant envisager de s’adapter au déconfinement, dans des conditions particulières. Ces processus engagent-ils notre capacité de résilience ?

La résilience est un concept très à la mode, tant en psychologie que dans le langage commun (pensons par exemple que le président Macron a récemment baptisé « Opération Résilience » la sollicitation de l’armée pour gérer la crise actuelle en France). Or il me semble important de l’utiliser avec mesure et nuance. Il est intéressant de constater, comme le montre Nicolas Marquis, sociologue de l’Université Saint-Louis Bruxelles, que ce concept a une origine qui n’est pas anodine : il semble nous venir des États-Unis, à la suite du krach boursier de 1929, pour caractériser le tempérament de l’humain pour « faire face » et se relever d’une épreuve douloureuse ou d’un traumatisme.

Bien sûr il est cohérent de dire aux gens que face à un problème (a fortiori s’il est grave), il est sans doute plus opportun de parvenir à l’affronter et de négocier avec, plutôt que de le nier et de faire semblant de l’ignorer (c’est presque une lapalissade). Il n’empêche que mettre en avant cette compétence de résilience chez la personne repose sur une idéologie de la performance (qu’évoquent les anglicismes empowerment ou survivor fréquemment usités aujourd’hui en psychologie et en médecine) qui est à interroger dans le domaine de la psychologie qui se caractérise avant tout par les variations interindividuelles. Il m’apparait dès lors important de souligner qu’on peut être résilient, capable de faire face, tout comme on peut aussi prendre son temps, reconnaitre ses fragilités, ses faiblesses, avoir le droit d’être affecté et d’avoir peur. D’ailleurs, il en est aussi qui ne se sentent ni résilients, ni affectés, tout comme ils n’estiment pas, en ce qui concerne leur personne, être face à une difficulté ou un traumatisme.

Enfin, le déconfinement est, d’un point de vue psychologique, un concept vide qui signifie des réalités totalement différentes et, pour ceux qui s’en trouvent affectés, des souffrances variées : un restaurateur ou un indépendant dans l’incertitude financière ne sera pas confronté aux mêmes difficultés psychologiques et existentielles qu’un étudiant devant passer des examens à distance dans des conditions parfois difficiles, que les membres d’une famille vivant dans un petit appartement avec peu (voire pas) d’espaces intimes, qu’une caissière de supermarché à bout de souffle ou qu’une infirmière confrontée plus qu’elle ne l’a jamais été à la mort et la souffrance de ses patients.

Au-delà de l’aspiration à retrouver « nos vies d’avant », cette crise peut-elle aussi être perçue positivement par les personnes ?

Deux choses me semblent pouvoir être dites. D’abord, il me semble que beaucoup de gens ont envie, plus que d’un retour à l’état antérieur, de l’avènement de changements au niveau sociétal. Bien sûr, personne ne souhaite s’éterniser avec les masques, avec l’absence de contacts tactiles, la disparition des poignées de mains et embrassades. Par contre, les excès du monde économique, les dérives écologiques semblent aujourd’hui pouvoir être rediscutées au regard de nouveaux arguments (toute une série de choses impensables préalablement semblent aujourd’hui pouvoir être discutées). Je suis frappé de constater à quel point ces discours citoyens sont présents dans les conversations quotidiennes tout comme dans les échanges que j’ai par téléphone avec quelques-uns de mes patients. Ils verbalisent que si cela peut servir à changer les choses, ces privations n’auront pas servi à rien…

Mais plus fondamentalement, ce qui me semble devoir être rappelé, c’est que le propre de l’humain est de ne jamais retourner en arrière. Le retour à l’homéostasie est un mythe psychologique. On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve, soulignait à raison Héraclite. L’individu, plutôt que de chercher à retrouver ce qui est normal pour lui, a surtout tendance à créer constamment de nouvelles normes. L’adaptation, ce n’est pas adhérer passivement à l’environnement. Il s’agit plutôt d’un mouvement à double sens : l’individu s’adapte aux normes, mais, tout autant, il crée et transcende les contraintes de son environnement (c’est d’ailleurs la définition de la santé selon le philosophe Canguilhem). Toujours, l’humain colore le monde selon sa propre subjectivité et crée sa propre réalité normative. Il continuera, malgré les contraintes qui lui seront imposées (notamment par les mesures de déconfinement) à créer des équilibres entre normes imposées et création de normes subjectives. Si c’est cela que l’on entend par résilience, il me semble alors juste de s’y référer.

Jerome-Englebert,Jérôme Englebert, docteur en psychologie, maître de conférences à l’Université de Liège et professeur invité à l’Université de Lausanne. À L'ULiège, il travaille au sein de l'Unité de Recherche ARCH (Adaptation, Résilience et Changement). Jérôme Englebert est également psychologue, psychothérapeute, et psychologue clinicien à l’Établissement de Défense Sociale de Paifve.
©Photo : Pixabay

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