COVID-19 et (dé)confinement

Que pensons-nous des réunions virtuelles ?

Premiers résultats d'une enquête sur le télétravail

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Quasi exclusives en ce moment, plus courtes mais efficaces, redéfinissant les codes symboliques d’expression du pouvoir dans les organisations. Premières observations sur les réunions virtuelles.

Une équipe interuniversitaire (ULiège, ULB, UCLouvain) livre les premiers résultats d’une enquête sur le télétravail, et plus spécifiquement sur les réunions virtuelles dans le contexte de la crise sanitaire. Cette étude a été lancée au début du confinement auprès du personnel (académique, scientifique, administratif et technique) des trois universités. 700 personnes y ont répondu.

L’enquête est réalisée par Sophie Thunus (Institut de recherche santé et société, UCLouvain), Céline Mahieu (École de santé publique, ULB), Frédéric Schoenaers (Centre de recherche et d’interventions sociologiques) et Willem Standaert (HEC Liège) de l’Université de Liège (ULiège).

 

Les premières observations

Basculement vers la réunion à distance (virtuelle)

Alors que les réunion face à face ont diminué de 4,5 à 1 en moyenne par semaine, les réunions virtuelles deviennent la norme, augmentant de 0,5 à 5 en moyenne par semaine.

On observe aussi que le nombre moyen de réunions a plutôt tendance à augmenter, passant de 5 à 6 en moyenne par semaine. Les réunions sont plus nombreuses mais plus courtes. Elles sont plus nombreuses en raison de la nécessité de gérer la crise sanitaire mais aussi parce que les réunions virtuelles ne parviennent pas à atteindre le même nombre d’objectifs.

Satisfaction concernant l’efficacité des réunions virtuelles

Moins d’objectifs atteints par réunion virtuelle mais les participants soulignent néanmoins leur efficacité, en particulier les réunions de 2 à 4 personnes.

Le relationnel en berne

Par contre, les réunions virtuelles ne laissent que peu de place pour les moments informels et de convivialité, ce que regrettent les participants qui « se retrouvent » via d’autres réseaux sociaux.

Le rôle du modérateur renforcé

Plus de la moitié des participants estime que le rôle du modérateur/animateur de la réunion est plus important qu’en face à face, notamment pour la distribution équitable de la parole. Ce rôle accru du modérateur est aussi la conséquence de la quasi absence de communication non-verbale.

La nature du pouvoir questionnée

D’une part les fondements symboliques et (inter)personnels du pouvoir sont dilués dans les réunions virtuelles (lieu de la réunion, place occupée à la table…), d’autre part la qualité des équipements et des connexions individuelles fait émerger de nouvelles sources de pouvoir (par exemple sur la manière dont un argument est bien entendu par les participants).


Interview

Willem Standaert est professeur assistant à HEC Liège et co-auteur de l’enquête. Il revient sur ces résultats et les met en perspective. Tout comme il existe un protocole unique GSM pour les communications téléphoniques, il plaide pour une norme unique pour les communications vidéo, un GSV, Global System for Video Communications.

Votre étude porte sur les réunions professionnelles virtuelles, et non sur le télétravail dans son ensemble. Vos répondants semblent être assez satisfaits de ces réunions. Pouvons-nous en déduire que ces réunions sont aussi efficaces que les réunions en face à face, voire plus ?

Comme nous avons tous été obligés de télétravailler, il y avait beaucoup d'enthousiasme au départ, une mentalité de "Can-do". En effet, les personnes interrogées ont indiqué leur satisfaction à l'égard des réunions virtuelles et elles ont même tenu plus de réunions qu'avant le confinement. Dans les réunions virtuelles, les participants ont moins tendance à s'écarter du sujet et à mieux s'en tenir à l'ordre du jour, et par conséquent, ils ont tendance à être plus courts. Mais alors que la perspective de se réunir en face à face était repoussée, nous avons remarqué qu'une fatigue des réunions virtuelles se faisait jour. Participer à des réunions virtuelles consécutives s'avère épuisant, car il faut se concentrer davantage sur l'interprétation du langage corporel et des expressions faciales à travers les petites fenêtres vidéo, surtout avec plus de 5 participants. En outre, si les réunions virtuelles peuvent être tout aussi efficaces pour des objectifs tels que l'échange d'informations ou la prise de décisions, elles sont moins appropriées pour entretenir des relations, sans parler de la création de nouvelles relations ou de la gestion des conflits. En résumé, les réunions virtuelles peuvent être plus productives, mais pas plus efficaces que les réunions en face à face.

Le rôle du leader est redéfini pour ces réunions. Quel est l'impact sur l'efficacité ou la convivialité de ces réunions ?

 Les tâches de l'animateur ou du modérateur sont très différentes dans les réunions virtuelles. Dans une réunion en face à face, le modérateur peut facilement se faire une idée de l'opinion du groupe en regardant autour de la table : qui essaie d'intervenir, qui est d'accord ou en désaccord, qui est prêt à aller vers un consensus, etc. ? Ne pas pouvoir "lire la salle" dans une réunion virtuelle est un gros handicap pour le modérateur et, en fait, il faut une personne supplémentaire pour gérer les messages qui arrivent sur le chat, signaler qui lève virtuellement la main, savoir si on peut mettre en place un sondage virtuel rapide, etc. Ainsi, alors que dans une réunion en face à face, une seule personne pourrait diriger la réunion en termes de diffusion de l'information, d'organisation des votes et de respect du temps, il semble qu'il faille deux personnes pour gérer tout cela dans les grandes réunions virtuelles. Il en va d'ailleurs de même pour l'enseignement en ligne. Pour un professeur, il est très difficile d'animer une session, tout en se tenant au courant des questions ou des commentaires qui lui parviennent.

Ces nouvelles habitudes auront-elles un impact lorsque les réunions en face à face pourront à nouveau se tenir ?

Il semble probable que nous nous dirigerons vers un monde plus hybride, une combinaison de réunions en face à face et virtuelles. Le problème de l'hybridité est que l'on peut avoir le meilleur des deux mondes, mais aussi le pire… Une bonne pratique qui a été observée dans les équipes dites virtuelles depuis le milieu des années 90 consiste à développer un rythme alternant réunions virtuelles et réunions en face à face. Par exemple, vous vous rencontrez deux fois par an en face à face et, entre les deux, vous vous rencontrez virtuellement. Ce qui est crucial dans ce scénario, c'est d'aligner les objectifs sur le mode de réunion, autrement dit, vous voulez concentrer les rares réunions en face à face autant que possible sur les aspects relationnels du travail. Un autre type d'hybridité est celui où tous les participants n'ont pas les mêmes capacités dans la réunion, comme quand, par exemple, la plupart des gens s'assoient ensemble en face à face et que certaines personnes se connectent sur un téléphone à haut-parleur. Les recherches montrent que ce type d'hybridité est problématique et doit être évité. Dans de tels cas, il serait alors préférable que tous choisissent la vidéoconférence, par exemple.

Faut-il s'attendre à des innovations technologiques majeures, compte tenu des retours d'expérience de cette expérience globale, rapide et imposée ?

Une percée majeure pourrait découler en la mise en place de systèmes de réunion virtuelle intégrés. Aujourd'hui, certaines organisations utilisent des Microsoft Teams, Google Meet, Zoom, Cisco WebEx, LifeSize et la liste des outils est longue. Par conséquent, une grande coordination est nécessaire entre les participants aux réunions pour déterminer quel outil utiliser. Pourtant la fonctionnalité de base que ces systèmes offrent est identique (audio + vidéo), alors pourquoi ne pas imposer des protocoles tels qu'ils puissent tous être intégrés ? Le GSM (Global System for Mobile Communications) a permis aux gens du monde entier de s'appeler, il est maintenant temps de mettre en place un système mondial de communication vidéo, le GSV(Global System for Video Communications).

Willem-Standaert-0454-(Large)Willem Standaert est professeur assistant au département Marketing et Innovation à HEC Liège. Il a obtenu son doctorat à l'Université de Gand sur le thème de l'efficacité des technologies de communication pour les réunions d'affaires distribuées. Après un post-doc à la Vlerick Business School, il a rejoint l’École de gestion de l’Université de Liège. Il occupe ou a occupé des postes de professeur invité à l'Université de Gand, à la Vlerick Business School et à l'IÉSEG Management School. Ses recherches actuelles portent sur les réunions d'affaires à l'aide de la technologie, les interactions numériques entre acheteurs et fournisseurs et l'innovation numérique.
© Photo : Fizkes for Shutterstock

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