COVID-19 et (dé)confinement : opinion

Évaluer en temps de pandémie, une publication internationale


Dans un numéro spécial de la revue de l’ADMEE-Europe, coordonné notamment par le Pr Pascal Detroz, des chercheurs internationaux contribuent à la réflexion : comment la pandémie a-t-elle bousculé l’enseignement et l’évaluation dans l’enseignement supérieur ?

En mars dernier, tous les pays européens ont vu leurs écoles et universités fermer pour cause de pandémie. Des enseignements à distance se sont organisés, souvent essentiellement transmissifs.

De nombreuses questions se sont très vite posées sur les dispositifs d’évaluation. L’évaluation formative soutien d’apprentissage ne risquait-elle pas d’être une victime collatérale de ce basculement pédagogique ? Et qu’allait-il advenir des évaluations certificatives. Avaient-elles du sens ? Sous quelles conditions ?

L’ADMEE-Europe (Association pour le Développement des Méthodologies d’Évaluation en Éducation), en tant qu’association scientifique centrée sur l’évaluation, se devait d’être partie prenante de cette réflexion et a publié un appel à texte pour un numéro spécial « Évaluer en temps de pandémie »  dans la revue en ligne Évaluer (e-JIREF). La communauté scientifique s’est mobilisée de manière extraordinaire et, au total, 27 textes ont été publiés.

« Évaluer en temps de pandémie », e-JIREF, Numéro spécial

« L’évènement, la pandémie, est sans doute historique – et ce numéro le sera vraisemblablement – mais ce succès démontre également le désarroi de la communauté éducative face à ces nouvelles formes d’évaluation qui restent à construire et l’urgente nécessité de proposer des jalons pour les y aider. C’est ce que vise cette publication », explique Pascal Detroz, chargé de cours, responsable académique du SMART au sein de l’IFRES, qui coordonné la publication avec ses collègues Walter Tessaro de l’Université de Genève et Nathalie Younès de l’Université de Clermont-Auvergne.

Interview

Du jour au lendemain, nous avons basculé vers un enseignement totalement à distance, un événement inédit et brutal dans l’histoire des universités. Mais était-ce vraiment un «  enseignement à distance »  au regard des pédagogues ? Un des auteurs parle d’une « moocification » urgente et forcée et du risque de « mauvais mooc »…

Il est bien difficile de tirer des généralités de l’épisode que nous venons de vivre. La seule constante est que les enseignants de notre institution ont fait des efforts en tout point remarquables pour assurer une continuité pédagogique dans un contexte sanitaire et émotionnel qui s’y prêtait peu. On peut, d’une certaine manière, se féliciter de ce haut niveau de réactivité dont ils ont fait preuve : chapeau bas à eux. Cependant, de notre point de vue, dans la plupart des cas, il ne s’agissait effectivement pas d’enseignement à distance au sens classique du terme. Pour mettre en place un enseignement à distance de qualité, le technopédagogue regarde les outils numériques et se demande comment ceux-ci vont l’aider à soutenir les apprentissages des étudiants. Le pédagogue, lui, analysera d’abord les objectifs pédagogiques qu’il vise puis, dans un second temps, puisera, dans l’ensemble de son arsenal, y compris technologique, les éléments nécessaires pour permettre leur atteinte par les étudiants. Dans les deux cas, une maitrise des outils et une centration sur les apprentissages des étudiants sont nécessaires.

Dans ce contexte inédit de pandémie, la plupart d’entre nous n’ont pas eu le temps de découvrir les outils ni d’apprendre comment les transformer en instruments utiles aux apprentissages. Certes, la continuité pédagogique a été, bon an, mal an, assurée, mais celle-ci s’est souvent traduite par la mise à disposition de contenus, sans réflexion aboutie sur la manière dont ceux-ci seraient appréhendés par les étudiants. Ni, d’ailleurs, sur la manière dont l’écologie d’apprentissage offerte à l’étudiant pouvait étayer les efforts fournis par ces derniers. Personne n’est à blâmer et le résultat est imputable à l’urgence à laquelle nous avons été confrontés, mais pour certains de nos cours, il en a résulté une forme d’appauvrissement de nos enseignements, l’essentiel de notre énergie ayant été concentrée sur la manière nouvelle de communiquer du contenu.

C’est sans doute cet état de fait qui a généré une insatisfaction importante de la part de certains étudiants qui se sont largement épanchés dans la presse et sur les réseaux sociaux. On peut comprendre leur émotion car la situation, de leur point de vue, était difficile. En plus des troubles liés au COVID qui, parfois, ne les épargnaient pas, ils ont dû faire face à certaines difficultés liées à leurs apprentissages. De ce point de vue, on peut être heureux de l’appel à la bienveillance lancé par nos autorités.

Étudiants mais aussi enseignants ont dû s’adapter rapidement à cette prescription. Celle-ci a-t-elle eu un impact sur l’identité professionnelle des professeurs ? 

Toutes les expériences sont formatives et susceptibles d’influencer notre identité. À l’IFRES, nous avons pu montrer, dans des expériences antérieures au COVID, la manière dont l’intégration d’une technologie nouvelle, dans un enseignement donné, pouvait influer sur le développement professionnel de l’enseignant l’ayant mise en place. Cette intégration avait, en effet, un impact sur d’autres cours donnés par le même enseignant, mais aussi sur le regard que ce dernier portait sur lui-même en tant qu’enseignant. Si nous l’avons démontré dans le cadre de l’usage des boitiers de vote électronique ainsi que dans le cadre de l’utilisation des learning analytics, on peut supposer que le basculement subit et massif dans l’enseignement à distance aura un effet similaire sur les enseignants de notre institution.

Peut-on « tirer du bon »  de cette expérience imposée ? De nouvelles pratiques, une appropriation des outils… ? Cette expérience peut-elle constituer une base à développer en dehors des circonstances exceptionnelles qui lui ont donné naissance ?

C’est évidemment tout le challenge qui mobilisera l’IFRES et, plus généralement, la communauté des conseillers pédagogiques de toutes les universités, dans les mois qui viennent. Il y a bien sûr une opportunité à saisir. L’arsenal des enseignants s’est doté de nouveaux outils. Certains enseignants se sont rendu compte que l’enseignement transmissif présentiel pouvait avoir des alternatives viables pour eux et leurs étudiants. D’autres, ou parfois les mêmes, se sont rendu compte à quel point l’enseignement présentiel était incontournable pour développer certaines compétences chez les étudiants. Peut-être est-ce le bon moment pour réorienter certains de nos efforts pédagogiques, pour les réinvestir, comme le souligne souvent mon collègue Dominique Verpoorten, là où la présence de l’enseignant apporte une réelle plus-value. En ce sens le COVID aura sans doute agi comme un accélérateur de réflexion pédagogique.

Mais il faudra aussi tenir compte des aspects liés au bien-être des enseignants. La période que nous venons de vivre a été particulièrement exaltante, mais également stressante et épuisante. Le besoin de contact interpersonnel est criant et il nous est de plus en plus difficile de traiter des problèmes réels à travers des discussions virtuelles. Nos réservoirs énergétiques et émotionnels sont probablement bien bas et, idéalement, il faudrait se donner du temps et de la longueur pour laisser percoler tout cela et pour, au final, transformer cette menace en une opportunité de reconstruire une pédagogie au service des étudiants. L’inconvénient actuel est qu’on a peu de visibilité sur l’état sanitaire à la rentrée et qu’il faudra, peut-être, remettre, plus tôt que souhaité, l’ouvrage sur le métier. Dans cette perspective, l’IFRES est à l’initiative de séminaires de formation (en collaboration avec eCampus) visant à réinvestir les efforts fournis lors de la pandémie dans des enseignements distanciels, présentiels ou hybrides. Plus de détails sont disponibles sur notre site Web.

Vous expliquez que la « congruence évaluative »  (la cohérence entre les objectifs d’apprentissage, les méthodes pédagogiques et les modalités d’évaluation) est malmenée, mais l’expérience que nous vivons peut-elle marquer un tournant pour l’avenir de l’e-learning dans l’enseignement supérieur ?

En tant que pédagogues, nous sommes effectivement soucieux de voir respecter la « congruence évaluative ». Le numéro spécial de la revue e-Jiref que j’ai eu le plaisir de coordonner avec mes collègues Nathalie Younès de l’Université Clermont-Auvergne et Walter Tessaro de l’Université de Genève trouve sa genèse dans la crainte commune que nous avions que les dispositifs d’évaluation à distance ne permettent tout simplement pas d’évaluer les performances des étudiants sans erreurs de mesure. Cette crainte semblait largement partagée par la communauté scientifique puisqu’au total, 27 textes ont été publiés dans cet ouvrage. Certains de ceux-ci ouvrent la voie à des évaluations de qualité menées à distance. Peut-on en tirer des indices quant à un changement de paradigme amenant à une accélération de la diffusion de l’e-learning et de l’e-assessment ? Nous ne le pensons pas et nous ne le soutenons pas nécessairement. En tant que pédagogues, nous souhaitons évidemment bénéficier de l’ensemble des outils permettant le développement des compétences des étudiants. Et la plupart de ces outils nécessitent une présence des étudiants et des enseignants dans un même espace lieu et temps qui ne peut pas être virtuel. Par contre nous trouverions sage que l’écologie d’enseignement proposée aux étudiants intègre les possibilités réelles qu’offrent certains outils numériques. À cet égard nous rejetons résolument les points de vue dogmatiques qui plaident pour le tout à distance ou, au contraire pour le tout au présentiel et soutenons plutôt l’idée d’une démarche médiane, pragmatique, dans laquelle l’enseignant peut puiser, dans un réservoir élargi d’outils et de méthodes pédagogiques, ceux qui sont le mieux à même de soutenir les apprentissages de ces étudiants.

Pascal-DetrozPascal Detroz est chargé de cours en matière de pratique d'enseignement et d'évaluation et responsable académique du SMART au sein de l’IFRES (Institut de Formation et de Recherche en Enseignement supérieur).

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©Photo : Pexels, Anna Shvets

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