Retranscription des discours de Pierre Wolper, Recteur de l'ULiège, lors de la Rentrée académique 2021-2022


142 RA - 2021-09-23 - Copyright Michel Houet - Uliège

Discours d'accueil

Bienvenue à cette rentrée académique. Au départ je voulais la décrire comme étant « normale », mais je préfère la qualifier d’exceptionnelle.

Exceptionnelle, car nous accueillons un nombre record d’étudiants nouveaux, en augmentation de 10%, et anciens, en augmentation de 5%.

Exceptionnelle, car en rupture avec ce que nous avons vécu depuis dix-huit longs mois. Le verre que nous partagerons après la cérémonie aura ainsi une saveur toute particulière

Exceptionnelle, car possible grâce aux vaccins rapidement mis au points, mais fruits de longues années de recherche persévérante dans des voies initialement audacieuses.

Exceptionnelle, car soumise à un contrôle sanitaire inimaginable il y a deux ans, mais non sans points communs avec les fouilles de sacs, courantes après les attaques terroristes. Que la menace soit virale ou terroriste, la protection collective implique des contraintes individuelles.

Nous sommes arrivés à un tournant de la gestion de la pandémie de Covid. Pour la contrôler, les mesures barrières physiques font graduellement place à l’immunité biologique. Les mesures sanitaires perdent aussi bien en adhésion qu’en efficacité face à un virus mutant. La transition vers la protection immunitaire doit être la plus rapide et la plus totale possible.

La probabilité individuelle de passer au travers de l’épidémie sans vaccination ni infection diminue rapidement. Autrement dit, à moyen terme ce sera vacciné ou infecté. Chacun choisira, j’espère en ayant à l’esprit que le coût tant individuel que social du passage par l’infection sans vaccination est incommensurablement plus élevé.

Dans cette logique, l’Université encourage fortement la vaccination et, avec l’aide de la région, a ouvert durant une semaine, dans ces locaux mêmes, un centre de vaccination pour ses étudiants, son personnel et le public en général. Il sera à nouveau ouvert à partir du 6 octobre pour les deuxièmes doses et les retardataires.

La Province de Liège fait face à un taux de contamination particulièrement élevé. Un élément rassurant ressort toutefois de l’analyse des statistiques : les contaminations sont nettement plus élevées et en croissance plus forte dans la tranche d’âge 10-19 que dans les autres. Celle-ci est nettement moins vaccinée, mais aussi la moins susceptible de souffrir d’une forme grave de la maladie.

Comme si le Covid ne suffisait pas, notre région a subi au mois de juillet le cataclysme d’inondations sans précédent. La solidarité avec les sinistrés a été exemplaire et l’Université, quasi indemne, a pu y contribuer, notamment en offrant des logements d’urgence à des victimes de rivières devenues sauvages.

Je voudrais ici souhaiter force et courage aux victimes et saluer toutes celles et ceux qui n’ont pas ménagé leurs efforts pour apporter aide et soutien.

Il faudra encore de longs mois, voire des années pour les traces de ces inondations se réduisent à des plaques commémoratives, comme celle figurant sur la façade de notre bâtiment du XX Août et indiquant le niveau de l’eau atteint en janvier 1926. Heureusement cette fois, le centre de Liège n’a pas été touché.

Ces événements sont un rappel de notre fragilité face à une nature que nous contrôlons bien moins que nous l’imaginons, mais que nous transformons graduellement, jour après jour, trop souvent sans vouloir prendre conscience que ce ne sera pas impunément.

La vie universitaire de l’année écoulée ne se résume heureusement pas au covid et aux inondations, mais a été fertile en avancées, réalisations et succès. Une courte vidéo va maintenant nous en rappeler quelques faits marquants.

Discours de rentrée

Comme nous l’avons vu dans la vidéo rétrospective, l’année académique 2020-2021 est loin d’avoir été neutralisée par la crise du covid.

C’est aussi le cas au niveau législatif, où deux textes importants sont en voie d’adoption. Le premier est une réforme du Titre III du décret dit « Paysage » qui régit le parcours de l’étudiant, le deuxième une révision du nouveau parcours de formation initiale des enseignants.

La réforme « Paysage » va dans le sens d’un meilleur balisage du parcours de l’étudiant ; il est le bienvenu et répond à une demande depuis longtemps exprimée par les universités. Cela ne l’empêche pas d’être critiquée.

La majorité des critiques partent du principe qu’une flexibilité maximale est favorable aux étudiants dont le parcours est difficile, en particulier s’ils vivent dans une situation précaire. Cela n’est en rien confirmé par les statistiques, au contraire. C’est aussi ignorer que la difficulté de gérer la flexibilité croît avec celle-ci, ainsi que nier l’effet stimulant d’un objectif incontournable. Un terrain glissant sans balises et plein d’embuches cachées n’aide personne.

Pour ce qui est de la réforme de la formation initiale des enseignants, connue sous le nom de « FIE », l’objectif est indiscutablement positif. Rien par contre ne démontre que l’efficacité d’une formation croît avec la complexité de son organisation. Heureusement, la nouvelle version de la réforme allège cette complexité. Elle reste néanmoins lourde et coûteuse à organiser. Un défi majeur à la sortie d’une période éreintante pour tout notre personnel.

Cette réforme est coûteuse de par l’allongement des études, et de par sa complexité. Mais, le plus inquiétant est l’impact des révisions barémiques qu’elle prépare. D’un point de vue universitaire, l’inquiétude devient presque de l’angoisse au vu de la baisse régulière du financement par étudiant universitaire depuis le début de ce siècle. En 2017 elle atteignait 22% à prix constants et s’est poursuivie depuis. Durant la même période, le financement par élève dans l’enseignement obligatoire a crû de 9,4%. Cette tendance va-t-elle perdurer ?

Le sujet du financement étant abordé, je me jette à l’eau. Un problème majeur est la contradiction fondamentale au cœur du système de financement des Universités.

D’une part, il y a la règle de l’enveloppe fermée qui bloque le financement global et ne le lie en rien à l’évolution du nombre d’étudiants. Comme toute règle intenable, elle est contournée par des « refinancements » âprement négociés, évidemment bienvenus, mais insuffisants et trop souvent fléchés vers des objectifs spécifiques, ce qui exige une ingénierie financière pénible à gérer pour leur utilisation optimale.

D’autre part, en dépit de l’enveloppe fermée, le calcul de la répartition du financement entre les universités est largement basé sur le nombre d’étudiants. Ces politiques totalement différentes que l’on soit au niveau du financement global ou au niveau du financement des universités prises individuellement ont pour conséquence que, pour une institution, seule une croissance plus rapide que la moyenne apporte un financement additionnel. S’en suit une concurrence qualifiée de cannibale dans un communiqué des Recteurs annonçant un moratoire sur les nouvelles formations. C’est une première étape pour casser un cycle infernal et se donner la possibilité d’établir des règles moins délétères.

Il est temps de changer cette logique contradictoire et d’établir un lien, même partiel, entre financement global et nombre d’étudiants et de le répercuter au niveau de la répartition des moyens entre les Universités. Un beau chantier pour l’année qui vient ! A Liège, nous ne sommes plus effrayés par les chantiers. Nous avons déjà le Tram et les conséquences des inondations.

Au sein de notre université aussi, l’année n’a pas été que « covid ». Comme vous avez pu le voir, nos nouvelles recrues sont nombreuses. On pourrait craindre une dérive budgétaire, mais tout cela a été fait dans un cadre précis qui tient compte des coûts croissants au long de la carrière et permet la réorientation de moyens. C’est ainsi que outre les postes académiques classiques, nous avons ouverts des postes à long terme de logisticien de recherche et de support à l’enseignement.

En matière de recherche, nous avons poursuivi nos politiques de renforcement de la recherche avec notamment le soutien pour l’obtention de financements de l’ERC. Depuis le lancement de l’ERC, nos chercheurs ont obtenu 24 financements, dont deux doublés : le même chercheur obtenant un « Starting Grant » et ensuite un « Consolidator Grant ». Ils ont aussi été lauréats de nombreux prix, dont le prix Francqui. Une Chaire UNESCO sur le thème du rôle central des « humanités » a été obtenue et sera inaugurée prochainement.

En matière d’enseignement, faut-il encore souligner l’adaptation de notre enseignement au conditions de la pandémie. Je peux dire sans hésiter que, si nous n’avions pas dû le faire, nous n’aurions jamais cru que cela aurait été possible. Pour consolider ces acquis, une Cellule d’Appui numérique a été mise en place et est rapidement devenue une ressource incontournable. Des assises de l’enseignement sont organisées la semaine prochaine.

Notre Université européenne UNIC a été lancée avec succès au cœur de la tempête covid. Nous aurons le plaisir d’accueillir sa première réunion en présence, ici à Liège, au mois d’octobre.

Nos besoins en bâtiment, principalement en rénovation, sont très importants et nous avons établi une planification très complète des projets à réaliser. Les moyens dégagés par le gouvernement seront ainsi bien utilisés. Une inauguration récente est celle des locaux très bien équipés de notre section de communication au sein de l’ancienne Grand Poste splendidement rénovée.

En matière entrepreneuriale, notre activité s’est poursuivie par la création de nouvelles spin-offs, de plus anciennes prenant leur envol dans le cadre de rachats ou autres opérations. Et, je ne ferai que rappeler l’importante activité développée dans le cadre des tests PCR pour le covid.

Durant l’année qui s’ouvre, l’accent sera mis sur le moteur de notre Université qu’est notre personnel, toutes catégories confondues. Une attention particulière sera apportée à nos recrutements et à l’attractivité de notre institution, peut-être trop souvent considérée comme acquise. Les conditions de travail de chacune et chacun seront aussi au centre de nos préoccupations, de même que notre organisation dont l’évolution sera consolidée.

Pour nos étudiants, enfin de retour sur nos campus, nous voulons offrir un enseignement revu à la lumière des acquis de la crise et une vie universitaire riche et diversifiée : il y a tant de choses à apprendre en dehors des matières dans lesquelles on se spécialise. Ils trouveront chez nous du soutien pour leur intérêt et leur envie d’agir sur les problèmes auxquels nous sommes confrontés, en particulier le réchauffement climatique.

Venons-en maintenant au thème de cette rentrée, les forces du changement. Il est de plus en plus évident que notre société, son organisation, son économie vont devoir rapidement s’adapter tant à des modifications rapides de l’ordre mondial qu’aux perturbations climatiques et sanitaires vécues ou prévues. Une réflexion sur les facteurs qui peuvent faciliter et soutenir les adaptations nécessaires est dès lors plus que bienvenue.

Dans le monde universitaire, on pense d’abord aux progrès scientifique et technique. Bien sûr, mais lors de cette rentrée académique, j’ai souhaité mettre en évidence d’autres vecteurs qui portent le changement.

Le premier est le facteur humain. Parmi les femmes et les hommes qui poussent le changement, il faut accorder une place particulière aux migrants. Privés de possibilités là où ils sont, ils n’hésitent pas à tout risquer pour aller au bout de leurs capacités. On oublie souvent à quel point les migrants ont changé le monde positivement et combien leur apport a été décisif là où ils sont accueillis.

Pour concrétiser ce constat je vais m’intéresser à la population de notre région wallonne. La population wallonne a depuis quelques années un solde naturel (naissances moins décès) négatif, même sans tenir compte de 2020 marquée par le covid. Ce solde naturel négatif devient toutefois légèrement positif quand on y ajoute le solde migratoire qui lui est positif. Nous avons donc une population qui croît très peu et uniquement grâce aux migrations.

On peut considérer qu’il y a assez d’humains sur Terre et qu’une population en décroissance est une bonne chose. Mais, même à population globale constante, certaines régions sont en croissance et d’autres en décroissance de population. La décroissance n’est certainement pas un signe de vitalité et de prospérité. Or nous en sommes proches. Je vais illustrer cela par deux constats : l’un statistique, l’autre anecdotique.

En 1900, la région wallonne comptait 2.742.000 habitants, la région flamande 3.325.000. En 2021, la région wallonne compte 3.648.000 habitants, la région flamande 6.629.000. De 91% de la population flamande, nous sommes tombés à 55%.

Plus anecdotique, lors de la prise Kaboul par les Talibans, on a interviewé pour le journal télévisé des Belges ou résidents belges d’origine afghane. Ils s’exprimaient tous en flamand ! On peut supposer qu’il n’ont pas choisi de s’installer en Flandre parce que le néerlandais est une langue largement pratiquée à Kaboul. Force est de constater que nous ne sommes pas attractifs !

Comme je l’ai évoqué plus tôt, pour l’Université, il est important de pouvoir attirer des personnes de talent d’où qu’elles viennent. C’est une façon pour nous de dynamiser notre institution et notre région. C’est aussi ainsi que les Etats-Unis sont devenus la première puissance scientifique mondiale.

Il en va de même pour les étudiants internationaux dont la proportion est d’ailleurs un critère dans de nombreux « rankings ». Évidemment, ceux qui viennent étudier à charge de la Fédération Wallonie-Bruxelles et quittent dès les études terminées ne font qu’un apport très limité à la région. Mais s’ils restent après leurs études, l’équilibre est tout différent. Ne serait-il pas rationnel que les étudiants internationaux supportent une plus grande part du coût de leurs études, coût qui serait annulé s’ils s’installent ensuite dans la région ?

Le deuxième facteur du changement réside dans les mécanismes qui permettent la mise en œuvre des progrès scientifiques et techniques. Sans cela, la meilleure science du monde restera une curiosité sans grand impact pour l’ensemble de la population.

Cela arrive plus fréquemment qu’on ne l’imagine. Voici un exemple vécu. Après ma thèse aux Etats-Unis, j’ai travaillé quelques années dans ce qui était alors un des labos de recherche les plus prestigieux : Bell Labs. Cinq prix Nobels ont été accordés pour des recherches qui y ont été menées et on lui doit des inventions telles quel le transistor, le laser ou encore, en informatique, le système UNIX.

L’entreprise mère de Bell Labs, AT&T n’en a quasi rien tiré comme bénéfice du point de vue commercial. Elle est maintenant un simple opérateur en télécommunication ; Bell Labs n’est plus que l’ombre de son passé glorieux et est passé sous le pavillon d’Alcatel et enfin de Nokia. Mais, heureusement, ces inventions ont été exploitées par d’autres ailleurs.

Je vois deux causes principales de cet échec majeur : le manque de motivation d’une entreprise trop confortablement installée dans un quasi-monopole et obnubilée par l’évolution de technologies qui ont été totalement remplacées (centraux téléphoniques classiques) et, d’autre part, le manque de motivation des chercheurs pour lesquels il n’y avait guère d’incitants à se lancer dans une aventure entrepreneuriale.

Nous ne sommes pas dans le même scénario, mais cela souligne toute l’importance que nos chercheurs soient incités à valoriser leur recherche et de disposer d’un soutien efficace des activités de valorisation. Nous y travaillons énergiquement.
Aussi, cela rappelle que la gloire scientifique ou industrielle passée ne présage pas de l’avenir. Nous pouvons être fiers de notre héritage, mais à trop le vénérer et le sauvegarder, c’est l’avenir que nous ignorons.

Le dernier volet est celui du débat des idées, que je vois comme étant en train de s’engluer. Pourtant les moyens de communication et de diffusion de l’information n’ont jamais été aussi puissants et disponibles que maintenant. Mais cette grande liberté a comme contrepoids deux dérives dangereuses.

La première est celle des régimes autoritaires pour lesquels l’expression libre est un danger à supprimer, tout en voyant dans les technologies qui la supporte un puissant moyen de surveillance.

La seconde est plus subtile et tient à la facilité qu’il y a à contredire, critiquer, vilipender, harceler celle ou celui dont on ne partage pas l’avis. Une de ses expressions explicite est la « cancel culture » qui vise à refuser une tribune à ceux que l’on ne veut entendre car portant un message contraire à nos convictions. Plus subtile, mais tout aussi dangereuse que la première dont elle peut d’ailleurs faciliter le développement. Souvenons-nous de la dernière élection présidentielle aux Etats-Unis.
Autre exemple, plus proche de nous, les débats souvent enflammés de l’an passé sur les examens en présentiel, certains étudiants s’y opposant énergiquement. Par contre, maintenant la question posée est celle d’une moins-value possible des diplômes « covid ». Nous avons maintenu plus de 50% d’examens en présentiel, nos diplômes peuvent être certifiés CSD « covid safe diploma ».

Dans ce domaine, l’Université à un rôle central à jouer en défendant, organisant et formant au débat ouvert. C’est dans cette ligne que j’ai toujours refusé d’intervenir pour désapprouver ou museler certains collègues dont la communication a parfois heurté. Ce n’est pas que je n’y vois rien à critiquer mais, tant que l’on reste dans les limites légales, censurer ou même simplement désapprouver nous mène sur la pente glissante de la liberté d’expression bridée.

Vous l’aurez compris, pour les trois volets des forces du changement que j’ai choisi de développer et pour lesquels je vous présenterai dans quelques minutes un Docteur honoris causa, l’Université peut et doit jouer un rôle central.

En 1927, dans un discours où il jetait les fondements du FNRS, le Roi Albert 1er déclarait :

« Le sort des nations qui négligeront la science et ses savants est marqué pour la décadence.»

Nous n’en sommes pas à la décadence, mais devant des défis majeur pour notre monde. Et je conclurai simplement en disant :

Négliger nos Universités, c’est négliger notre avenir.

Partager cette page