Crise sanitaire

Lien social, besoin d’appartenance et engagement : impliquer les jeunes dans les différentes étapes de la crise


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Une vaste enquête dédiée aux vécus des jeunes, menée de mars à mai dernier en Fédération Wallonie-Bruxelles, livre des résultats pour penser « l’après-crise ». Focus sur une population précise, celle des 12-18 ans, qui a sensiblement souffert de la crise sanitaire et du premier confinement.

Les réponses livrées par les adolescent·es au cours de cette enquête, dirigée depuis plusieurs mois par la Pr Fabienne GLOWACZ, directrice de l’Unité de recherche ARCh et du service de Psychologie clinique de la délinquance de la Faculté de Psychologie, révèlent que la crise et les mesures sanitaires sont vécues comme de véritables « chocs » ayant impacté leur fonctionnement.

Ils ont été maintenus pendant plusieurs mois  « en isolement» dans une forme « d’hibernation et passivité contrainte » mais, surtout, ils sont submergés depuis le début de la crise par un climat de menace, de gravité et  de peur. Si ne pas attraper ou transmettre le Covid est devenu un objectif prioritaire, cela ne constitue pas une valeur en soi et ne peut être un but pour le futur des jeunes.

« On s’en doutait, on l’avait déjà dit et pressenti en mai, mais cette étude finalisée le confirme : les jeunes, et singulièrement la tranche des 12-18 ans, a été très affecté et l’est toujours par la crise » souligne Fabienne Glowacz. Selon elle, les ados ont été « oubliés » durant cette période cruciale d’avril à juin et erronément stigmatisés.

Sentiment d’abandon, stress, sensation de vide, ennui, incertitude, perte de repères, de liens et d’espoir mais aussi perception d’inégalités et envie d’engagement et de sens : cette crise et ses vagues successives ne sont pas sans impact sur la santé mentale de la population et des ados en particulier.

Anxiété marquée et symptomatologie dépressive

La professeure pointe les chiffres : 80 % des 500 adolescent·es de 12 à 18 ans ayant répondu à l’enquête présentent une anxiété au-delà de la normale. Un jeune sur deux fait part d’une humeur dépressive (fatigue, perte d’énergie, démotivation, perte d’élan vital…) et 20 % souffrent d’une symptomatologie dépressive. 9 % des participant·es rapportent avoir des pensées suicidaires, gestes suicidaires et/ou automutilatoires. Un jeune sur 10 a pensé pendant cette période de confinement et de crise que la vie ne valait pas la peine d’être vécue.

Si tous les ado sont affectés psychologiquement par la crise, les filles présentent des scores significativement plus élevés aux échelles d’anxiété et de dépression.  « En temps normal, les filles montrent des taux d’anxiété et dépression plus hauts que les garçons mais la situation semble avoir exacerbé cet écart. Les filles ont été davantage amenées à se poser des questions sur le sens de la vie. Elles ont été aussi plus investies dans le soutien, l’écoute des proches et de la sorte plus exposées à leur propre détresse et à celle des autres » souligne Fabienne Glowacz.

Outre l’importance de relever les impacts de la crise au niveau de la vie des jeunes, l’intérêt de cette étude réside dans l’identification des facteurs et dynamiques qui peuvent les atténuer et soutenir la résilience dans l’après-crise.

Maintien des liens et besoin d’appartenance

Durant le confinement, les jeunes ont été privés de l’école : des apprentissages mais aussi des amis, des relations avec les professeurs, des temps de récré. « Notre étude a montré que le fait de se sentir soutenu par les acteurs du milieu scolaire, d’avoir maintenu les contacts, certes d’avoir été aidés mais surtout d’avoir échangé avec les professeur·es et les autres élèves a contribué de façon significative au bien-être » explique Fabienne Glowacz. « Il s’agit ici de se sentir investi et d’investir des liens sans avoir accès en permanence aux lieux, et de continuer à se sentir appartenir à une communauté et à un groupe de pairs. Et plus le jeune se sent investi dans cette sphère scolaire, moins il est enclin à transgresser les mesures de distanciation et les gestes barrières. »

Cette étude met en lumière combien il importe, en cette crise pandémique, de prendre soin des liens avec l’école, au-delà des apprentissages. Ces liens ont un effet protecteur pour les jeunes par rapport aux symptômes dépressifs et favorisent leur bien-être. « Un ré-investissement fort de ces liens constituera l’une des voies de résilience pour l’après-crise » pointe-t-elle.  

 « Il est dès à présent important de préserver et nourrir leur sentiment d’appartenance à la communauté, à l’école, à la société, qui risque en effet de s’être émoussé pendant cette période ‘de distanciation sociale’. Nos recherches dans d’autres domaines montrent que l’affaiblissement du besoin d’appartenance ouvre la porte à l’affaiblissement de la croyance aux valeurs fondamentales qui fondent la société et peut légitimer, entre autres, le recours à des violences » précise Fabienne Glowacz.

Conscience sociale et collective

Les résultats de l’enquête révèlent également que les jeunes témoignent d’une conscience sociale et collective : 85 % des répondant·es considèrent que la crise génère des inégalités sociales et des injustices scolaires. « Là aussi, il est important de prendre en compte cette lecture des jeunes et de dégager des aides et propositions pour ne pas les laisser envahis par ces sentiments d’injustices. Comment ? En les impliquant notamment dans des stratégies d’aide par les pairs ».

Et la professeure de penser qu’il serait idéal de développer des espaces d’échange et d’expression pour les ados, de manière à permettre aux chocs et au traumatisme de se résorber, à la résilience de faire son œuvre. « Les résultats ont montré que les questions existentielles, les valeurs, les priorités et les projections du futur ont été ré-activées chez les jeunes et attendent d’être débattues et réfléchies ».

Le confinement en famille : une expérience en demi-teinte

Avec la crise, les familles, aux compositions variées, sont devenues le seul lieu de vie des adolescent·es. Les trois-quarts des jeunes filles et garçons reconnaissent en effet qu’ils ont eu plus de temps pour faire des choses ensemble. Cependant, si 50% des jeunes se sentent plus proches de leurs parents, ils sont autant à percevoir les tensions au sein de la famille comme étant plus fortes, tandis qu’un jeune sur cinq se considère comme plus violent (verbalement, psychologiquement ou physiquement ) avec ses ou son parent(s).

« La structure familiale a été décrétée, du jour au lendemain, comme unique sphère de vie, devant répondre à tous les besoins de ses membres alors même que l’on sait que nombre de ces besoins, et surtout pendant l’adolescence, se réalisent en dehors de la sphère familiale  » rappelle-t-elle. De plus, on l’a vu, le confinement a exacerbé les inégalités familiales (perte ou non de revenus, espace de vie disponible, résistance au stress, composition familiale…), rendant le vécu des jeunes bien différents d’une famille à l’autre. « L’étude montre nettement que la qualité relationnelle avec le ou les parent(s), la disponibilité émotionnelle, les échanges constituent un facteur déterminant pour le bien-être des jeunes. À l’inverse, l’ambiance négative à la maison, l’absence de communication, le manque de soutien parental impactent fortement l’état psychologique des jeunes ».

« En cette crise, soutenir les parents dans leur fonction de communication, d’écoute et d’échanges  participera au bien-être des ados » note Fabienne Glowacz, pour qui les familles ont pu être également, d’une certaine façon, « abandonnées » durant le premier confinement et se sentir démunies face à toutes les missions qui leurs sont revenues dans un contexte marqué par le stress.

Le soutien, l’engagement, la participation  

Outre les contacts sociaux, un jeune sur trois a exprimé, dans ses besoins prioritaires, l’importance de recevoir du soutien. « Psychologique, scolaire, de la part des pairs : les adolescents ont fortement partagé ce besoin crucial de se sentir écoutés, encouragés, rassurés » note la professeure. À ce propos, il est important de rappeler que les écoles mettent en place des dispositifs de soutien et que le SPF Santé a élargi l’accès (avec remboursement) aux soins psychologiques de première ligne aux ados.

L’engagement apparait également parmi les besoins exprimés. « Durant le premier confinement, les adolescents ont été ‘empêchés’ de tout, ils se heurtaient à des interdictions constantes. Or cela va à contre-courant de leur processus d’exploration, d’émancipation » explique Fabienne Glowacz. Un jeune sur deux dit ainsi se sentir prêt à s’engager pour la société. « La question de l’engagement revêt par ailleurs une fonction ‘protectrice’ : plus l’ado s’engage, moins il est dans la transgression ou la tentation de s’orienter vers des comportements déviants ».

Sortir de la passivité à laquelle ils ont été contraints, s’engager et devenir acteurs : c’est l’une des voies de résilience exprimée par les jeunes. Les adolescent·es ont besoin de faire entendre leur voix et de participer aux différentes étapes de la crise et de l’après-crise. Leur donner la possibilité d’exprimer leurs besoins et idées dans les processus de décision peut contribuer à leur bien-être et à l’efficacité des politiques mises en œuvre.

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