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Florence Caeymaex : "Je me situe du côté de la philosophie de la vie et des vivants !"


Un œil dans les textes philosophiques, un pied sur le terrain, Florence Caeymaex brasse les questions de genre, d’écologie et d’éthique en santé. Son travail se nourrit aussi bien de la pensée que des luttes et mouvements qui traversent le monde d'aujourd'hui.

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Florence Caeymaex voit dans la philosophie un formidable levier pour aborder les questions sociales et politiques. Pour contribuer à penser le monde, elle a comme priorité d’être ancrée dans la vie et de mettre la notion de responsabilité au centre. Cet engagement se traduit par des missions complémentaires : professeure, chercheuse, conseillère de la Rectrice à l’éthique et aux politiques d’égalité, vice-présidente du Comité consultatif de bioéthique de Belgique.

Ce qui la fait vibrer ? L’échange entre les personnes, le partage, la confrontation des avis. Un moteur puissant pour faire naître une pensée « plus juste, plus forte et plus sensible ». Et provoquer des étincelles de changements.

Comment le féminisme, l’un de vos principaux sujets d’étude, arrive-t-il dans votre parcours ?

La formation en philosophie en Europe reste généralement très classique, basée sur son histoire – or cette histoire est majoritairement portée par des voix masculines. Les autrices philosophes sont rarissimes ! Au fil des années, au sein du séminaire de philosophie politique et sociale, avec mon collègue Édouard Delruelle, nous avons délibérément traité des questions d’actualité, des questions « communes ». Dès 2013, portés par un basculement de la pensée, nous avons examiné trois enjeux qui représentent un défi pour la philosophie classique : l’écologie, le décolonialisme et le féminisme. Le féminisme est donc apparu relativement tard dans mon parcours, mais j’y ai trouvé une voie essentielle, une approche véritablement ancrée dans la vie. Et il est apparu d’autant plus urgent ces dernières années, avec le phénomène #MeToo, d’amener la philosophie sur ce terrain des inégalités de genre.

Quel est le lien entre la pensée philosophique et le réel, le vécu ?

Les théories féministes n’effacent jamais les traces de leur provenance. Leurs questions ne sont pas nées dans le monde académique – où les femmes étaient très peu présentes – mais sont le fruit de luttes, de tentatives d’émancipation. Où les femmes pouvaient-elles faire entendre leur voix ? Dans les associations, les mouvements populaires et certains livres. Elles ont mis à l’agenda des « objets de réflexion » qui ont ensuite débouché sur ce que l’on appelle les « études de genre ». Notre travail de philosophie féministe doit absolument garder cette connexion étroite avec le terrain et les transformations sociales. Les féministes ont rendu visibles et donc questionnables des pratiques et des réalités jusqu’alors considérées comme allant de soi. Beaucoup de ces savoirs ont une dette à l’égard des mouvements politiques.

En quoi les théories féministes bousculent-elles la philosophie ?

Elles redonnent de la dignité à ce que la pensée dominante a généralement marginalisé, et donc dévalorisé. Notamment toutes les questions liées  au vécu : le corps, la sensibilité, les sentiments. Traditionnellement dominée par l’esprit, l’intellect et la raison,  l’expérience ordinaire du corps dans la vie quotidienne et le travail a permis, une fois mise en lumière, d’aboutir à une pensée plus complète, plus ajustée. La santé, les outils et technologies qui appareillent notre action, les étapes de la vie : le corps compte ! Cela ouvre la possibilité d’une nouvelle vision du monde.

Quelle est cette nouvelle vision du monde ?

La question du corps est devenue cruciale au 20e siècle. Les femmes, assignées à l’entretien des corps et de la vie, associées à une sensibilité tenue pour inférieure à la raison, ont voulu voir les choses précisément depuis cet endroit-là, depuis l’expérience personnelle et sociale qu’elles en font. Cet angle de vue a (r)éveillé l’attention pour le milieu dans lequel on évolue, qu’il soit naturel ou fabriqué. Cela a permis d’orienter l’éthique et la politique en questionnant les types de relations dont notre monde est fait. La notion d’attachement, c’est un enjeu énorme.

Remettre les liens au centre : est-ce là que vous voyez de l’espoir ?

Sortir d’une idée intellectuelle du monde pour prendre en compte la sensibilité et l’attachement, c’est à mes yeux très prometteur, oui ! N’a-t-on pas besoin aujourd’hui de façonner différemment les relations, et notre amour du monde, précisément parce qu’il est abîmé ? L’éco-féminisme y contribue. Peuples opprimés, environnement saccagé, femmes invisibilisées et dominées : autant de réalités qui frappent à nos portes pour être entendues. Les « attraper » à travers la question des relations (relations à soi-même, aux autres, au monde), c’est à la fois universel et vital.

L’université, fabrique des possibles ?

Le savoir n’est jamais clôturé. L'université est un lieu de quête, d'exploration, d'"inquiétude" permanente. La Terre, comme tout ce qui compose nos milieux, doit être entretenue avec soin pour être habitable. Les relations se placent au centre de ce défi. Et cela rejaillit aussi bien sur les sciences de demain – sciences humaines et sciences naturelles s’enrichissent mutuellement – que sur les luttes à venir. On peut, on doit encore aller plus loin. Restons attentifs et éveillés.

 

 


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