Héliosismologie

Que nous cache notre Soleil?


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Gaël Buldgen, Sébastien Salmon et Arlette Noels du laboratoire d’Astrophysique Stellaire Théorique et Astérosismologie (ASTA) au sein de l’Unité de Recherche STAR de l’Université de Liège ont mis au point de nouvelles techniques de sondage sismique pour l’étude de notre Soleil. Construit en faisant usage des nouvelles abondances chimiques du Soleil, déterminées par des simulations 3D de ses couches externes, le nouveau modèle solaire remet profondément en question notre connaissance du Soleil, mais impactera aussi plusieurs études de systèmes stellaires qui prenaient pour référence un ancien modèle théorique du Soleil, vieux de plus de 20 ans. Les résultats de ces recherches qui ont fait l’objet de trois publications quasi simultanées dans les revues Astronomy & Astrophysics(1) et Monthly Notices of the Royal Astronomical Society (2,3), animent actuellement la communauté scientifique internationale.

L

e Soleil, notre étoile, est au coeur de notre système planétaire et des processus ayant menés à l'apparition de la vie sur Terre. L’étude de sa composition et de son comportement sont donc essentiels afin de mieux comprendre l’évolution de notre système planétaire. Les derniers modèles solaires, établis dans les années nonante, sont pourtant remis en cause aujourd’hui par des chercheurs de l’Université de Liège. Ces scientifiques leur reprochent de ne pas inclure les nouvelles abondances chimiques solaires et donc de ne pas dresser un profil exact de l’état du Soleil et de sa structure interne. «Il faut savoir que l’étude de nombreuses autres étoiles est basée sur les modèles développés pour l’étude du Soleil, également appelés modèles standards dont la « recette » a été définie par John Bahcall dans les années quatre-vingt », souligne Gaël Buldgen, chercheur au sein du laboratoire ASTA, actuellement en post-doctorat au sein du laboratoire HiROS de l’Université de Birmingham. « Le Soleil est un laboratoire privilégié pour l’étude détaillée de l’évolution et de la structure des étoiles en général. Il est donc important de pouvoir disposer de modèles précis, en phase avec les observations les plus récentes.» C’est durant sa thèse de doctorat que ce jeune chercheur a imaginé et mis au point de nouvelles techniques de sondage sismique qui ont clairement montré que les modèles construits en adoptant les anciennes abondances solaires (la teneur en différents éléments chimiques) n’étaient plus en accord avec les données héliosismiques. Ce résultat, défendu par les chercheurs de l’Université de Liège a provoqué quelques secousses dans la communauté scientifique internationale.

Voyage au centre du Soleil

«L’héliosismologie est née dans les années soixante, lorsque les scientifiques ont observé pour la première fois des oscillations à la surface du Soleil, explique Sébastien Salmon, chercheur au sein du laboratoire ASTA (UR STAR). De manière analogue à la sismologie terrestre qui permet de décrire la structure de notre planète à partir de l’étude des ondes produites lors des tremblements de Terre, cette discipline de l’astrophysique fournit les clés de la structure interne de notre étoile en analysant les oscillations détectées à la surface du Soleil.» Grâce à des réseaux d'observatoires au sol, tels que le réseau GONG (Global Oscillations Network Group) et BiSON (Birmingham Solar Oscillations Network), ou spatiaux tels que SoHO (Solar and Heliospheric Observatory), un satellite placé en orbite autour du Soleil, les scientifiques ont depuis pu détecter plus de 100.000 fréquences d'oscillations qui, telles des notes de musique, permettent de reconstruire la structure et les propriétés de l’instrument qui les produit.

Heliosismologie-SOHO

A gauche, le satellite Soho s’est avéré l’un des plus efficaces instruments pour révéler les oscillations de la surface du Soleil, nous donnant accès à sa structure interne à l’aide de l’héliosismologie (vue d’artiste) [Crédit : SOHO (ESA & NASA)]. A droite : coupe latitudinale du Soleil. La propagation de modes d’oscillation au sein du Soleil est représentée par les courbes noires. Les modes utilisés dans les travaux de l’équipe liégeoise sont les modes de pression, dits modes p, qui sondent l’enveloppe du Soleil. Les modes de gravité, dits modes g, sondent le cœur de l’étoile, et n’ont été détectés que très récemment (juillet 2017) par l’équipe du chercheur Eric Fossat. [Crédit : ESA; Sun’s chromosphere based on SOHO image; credit: SOHO (ESA & NASA)

Dans les années nonante, l’héliosismologie parvient ainsi à déterminer avec une grande précision la limite entre la zone convective (zone sous la surface du Soleil où l’énergie est transportée par des mouvements de matières) et la zone radiative (zone plus profonde où l’énergie est transportée par le rayonnement) du Soleil.

Les progrès de cette discipline ont notamment permis de sonder les conditions physiques régnant à plus de 660.000km sous la surface visible de notre étoile, soit une distance représentant 95% de son rayon!  Lors de telles analyses, la question des abondances chimiques est primordiale. En effet, la structure et l’évolution d’une étoile sont fortement dépendantes de la proportion relative de chacun des différents éléments présents. L'hydrogène est le constituant majoritaire (74% de la masse de notre étoile), puis l'hélium (24% environ), viennent ensuite d’autres éléments dits «lourds» (carbone, néon, oxygène, fer, magnésium, silicium, etc). «Les abondances solaires servent généralement de standards pour l’étude des spectres stellaires. Nous les déduisons de l'analyse des raies spectrales produites dans la photosphère, c’est-à-dire dans les couches superficielles du Soleil, » explique Arlette Noels, collaboratrice scientifique au sein du laboratoire ASTA. La spectroscopie est l’un des principaux outils des astrophysiciens pour l’étude de notre Univers, l’analyse spectrale délivre en effet une quantité importante d’informations sur la source qui émet la lumière. «Mais pour obtenir des résultats fiables, poursuit Arlette Noels, il faut disposer de modèles détaillés fournissant les conditions et processus physiques à l’oeuvre au sein de ces couches superficielles. Des progrès essentiels ont été réalisés dans ce domaine au cours de ces dernières années, ce qui a suscité une réanalyse des abondances solaires.» C’est ainsi que pour construire un modèle théorique d’étoile, il faut en connaitre la composition chimique, c’est-à-dire les différents éléments qui le constituent ainsi que les conditions et les processus physiques qui règnent en son sein. «Le Soleil est la plus étudiée des étoiles qui nous entoure. Ainsi, les outils et les modèles développés pour le Soleil sont appliqués aujourd’hui à l’étude d’autres astres», reprend Sébastien Salmon.

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Vue du soleil en de multiples bandes passantes (une bande passante correspond à un certain intervalle de longueur d’onde, c-à-d une certaine « couleur »). C’est en observant le Soleil dans différentes combinaisons de bandes passantes que l’on peut détecter et analyser les oscillations de sa surface. De même, la spectroscopie (bandes passantes très étroites, centrées sur des longueurs d’onde bien précises) permet d’analyser les raies spectrales de la photosphère du Soleil, et d’en déduire les abondances des différents éléments chimiques à sa surface. [Crédit : NASA/SDO/Goddard Space Flight Center]

Rien ne va plus...

En 2005, grâce aux progrès réalisés dans l’analyse de ces observations spectroscopiques, les chercheurs, dont un liégeois, Nicolas Grevesse, directement impliqué dans ces nouvelles analyses (ainsi que dans les anciennes déterminations qui ont mené aux succès des modèles solaires et qui furent réalisées en collaboration avec Arlette Noels), ont obtenu une réduction drastique - de l’ordre de 30% - des abondances en carbone, oxygène et azote. Ces nouvelles données semblent toutefois fournir des modèles solaires, changement déterminant, en désaccord avec l’héliosismologie! «Les scientifiques tentent depuis lors, sans aucun succès, de réconcilier ces modèles théoriques avec les données héliosismiques, souligne Sébastien Salmon. Le monde scientifique va ainsi connaître une crise, «a trouble in paradise», qui va pousser de nombreux scientifiques à simplement ignorer les nouvelles abondances plutôt que de remettre en cause le modèle théorique.»

Les Liégeois à la rescousse

A l’Université de Liège, les chercheurs ne l’entendent pas de la même façon et décident de réexaminer le problème. Gaël Bulgen, alors doctorant au sein du laboratoire ASTA, va mettre au point avec ses collègues de nouvelles techniques de sondage sismique. «Nous avons décidé d’aborder ce problème en adoptant une tout autre approche, consistant à « réécouter » les oscillations solaires à l’aide de nouveaux outils héliosismiques, explique le jeune chercheur.» A l’aide des nouvelles techniques mises au point à l’Université de Liège, Gaël Buldgen a pu déterminer, par analyse sismique, la teneur en éléments plus lourds que l’hélium de la matière solaire et montrer que celle-ci était compatible avec les « nouvelles » abondances. «Continuer à utiliser un modèle obsolète parce qu’il répond aux attentes de la communauté scientifique alors qu’il présente des faiblesses, n’aidera pas à faire avancer la physique stellaire, bien au contraire. Grâce aux nouvelles abondances nous allons pouvoir procéder à des études plus pointues indispensables à une meilleure compréhension de la structure de notre Soleil et ainsi définir des modèles théoriques bien plus cohérents et réalistes du point de vue physique que les modèles standards.»

Suite à ces travaux, nos chercheurs ont pu déterminer le profil interne de l’entropie solaire et acquérir une nouvelle vision des couches séparant la région radiative de l’enveloppe convective. Les résultats obtenus par l’équipe des chercheurs de l’Université de Liège montrent à présent de façon très claire les faiblesses des modèles construits en adoptant les anciennes abondances, qui ne reproduisent pas ces nouvelles contraintes héliosismiques. La communauté scientifique reste pourtant frileuse à valider la mise en place d’un nouveau modèle solaire car cela nécessite une forte révision de la «recette» utilisée pour le construire, mais surtout – vu l’utilisation de ce modèle pour la caractérisation d’autres étoiles – cette révision est synonyme d’importants changements dans la détermination des masses, rayons et âges d’autres étoiles de type solaire comme par exemple Alpha Centauri (un des systèmes les plus essentiels pour chercher des traces de vie). Qui plus est, la détermination précise des masses, rayons et âges des étoiles est  au centre des préoccupations des physiciens stellaires depuis bientôt plus de dix ans, grâce notamment aux satellites CoRoT et Kepler qui ont permis l’étude astérosismique de milliers d’étoiles. Cette course à la précision a pris tant d’importance que la future mission PLATO de l’Agence Spatiale Européenne (ESA) fait d’un ses prérequis principaux la détermination de ces paramètres stellaires avec une précision supérieure à 10%.

En ce sens, les travaux de l’équipe liégeoise sont au centre des préoccupations de la communauté scientifique car ils s’attaquent à la base du problème de fiabilité des modèles d’étoiles. Au-delà du champ de l’astrophysique stellaire, les modèles d’évolution sont aussi utilisés pour la caractérisation des systèmes exoplanétaires et l’étude de l’évolution chimique de notre Galaxie. Ainsi, tout changement dans les modèles stellaires se répercute immanquablement dans d’autres domaines de l’astrophysique, sitôt qu’ils utilisent de l’information obtenue par des modèles d’évolution d’étoiles.

Heliosismologie-ZMachine

Laser « Z machine » au Sandia National Labortatory (USA), l’un des plus puissants lasers au monde. A ce jour, c’est le seul où ont pu être reproduites des conditions de température et densité similaires aux régions profondes du Soleil.  Un plasma atteignant environ 1.000.000 °C  y a été produit pour étudier les propriétés à l’échelle atomique du plasma solaire. [Crédit : R. Montoya/Sandia National Laboratories].

Les travaux de nos chercheurs offrent également de nouvelles perspectives sur l’étude des régions de transition au sein des étoiles, où le transport de l’énergie change d’un mécanisme à l’autre. Ces régions sont le lieu de zones de turbulence mal comprises et mal représentées dans les modèles théoriques, pour lesquelles les techniques proposées par le laboratoire ASTA offrent des contraintes très fortes. Notons que ces processus sont en outre liés à des phénomènes fondamentaux de physique atomique, dont les seules autres contraintes proviennent d’installations laser expérimentales parmi les plus puissantes au monde. Ainsi les recherches de l’héliosismologie permettent également d’apporter de nouvelles informations sur les conditions physiques extrêmes nécessaires aux processus contrôlés de fusion nucléaire sur Terre, une des sources potentielle, et donc cruciale, de production d’énergie pour nos sociétés dans le futur.

« Il faut maintenant poursuivre le travail et mettre en évidence les points sensibles dans d’autres modèles, conclut Sébastien Salmon. Il est essentiel de trouver des phénomènes physiques qui permettent justement de réduire ces écarts et d’éviter ainsi de nombreuses erreurs.» Les chercheurs continuent donc dans la voie qu’ils se sont tracée et collaborent déjà avec de nombreux groupes scientifiques. L’Université de Birmingham, l’Observatoire de Genève ainsi que le laboratoire américain de Los Alamos se sont joints à eux afin de réanalyser en détail la structure de notre Soleil et d’en déterminer l’impact sur les autres domaines de l’astrophysique tels l’exoplanétologie et l’étude de l’évolution chimique de notre Galaxie.

Références scientifiques

(1) Buldgen, Gaël ; Salmon, Sébastien ; Noels-Grötsch, Arlette et al., Seismic inversion of the solar entropy. A case for improving the standard solar model, in Astronomy and Astrophysics (2017), 607

Consulter cette publication dans ORBi

(2) Buldgen, Gaël ; Salmon, Sébastien ; Noels-Grötsch, Arlette et al., Determining the metallicity of the solar envelope using seismic inversion techniques, in Monthly Notices of the Royal Astronomical Society (2017), 472(1), 751-764

Consulter cette publication dans ORBi

(3) Buldgen, Gaël ; Salmon, Sébastien ; Godart, Mélanie et al., Inversions of the Ledoux discriminant: a closer look at the tachocline, in Monthly Notices of the Royal Astronomical Society: Letters (2017), 472(1), 70-74

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Contacts

Laboratoire d’Astrophysique Stellaire Théorique et Astérosismologie(ASTA) - Unité de Recherche STAR

Gaël BULDGEN: gbuldgen@uliege.be

Sébastien SALMON : Sebastien.Salmon@uliege.be

Arlette NOËLS : Arlette.Noels@uliege.be

A propos

Gaël BULDGEN

Diplômé d’un Bachelier en Sciences Physiques de l’Université de Liège, Gaël Buldgen poursuit ses études par un Master en Sciences Spatiales au sein du département d’Astrophysique, de Géophysique et d’Océanographie de l’Université de Liège. Il entame alors un doctorat au sein du Laboratoire d’Astrophysique Stellaire Théorique et Astérosismologie (ASTA) sur le développement des techniques d’inversion en astérosismologie, sous la supervision de Marc-Antoine Dupret (ULiège) et de Daniel Reese (Observatoire de Paris-Meudon). Gaël Buldgen effectue actuellement un post-doctorat au sein du laboratoire HiROS (High-Resolution Optical Spectroscopy) de l’Université de Birmingham où il travaille sur l’application des méthodes développées durant sa thèse aux étoiles plus évoluées telles que les sous-géantes et les géantes rouges ainsi que sur les nouvelles générations de modèles solaires.

 

Sébastien SALMON

Après un baccalauréat en sciences physiques à l’UCL, Sébastien Salmon vient poursuivre un master en sciences spatiales à l’ULiège, seule université belge francophone à proposer ce type d’étude. Son mémoire reçoit le prix Wallonie Espace, et il mène ensuite une thèse sur l’étude des étoiles massives à partir de l’analyse de leurs oscillations. Une recherche permettant de mettre en évidence des phénomènes à l’échelle atomique au sein de ces étoiles. Après sa thèse, il part en post-doc au CEA, le centre de recherche sur les énergies atomiques en France, en partie sur des expériences astrophysiques réalisée avec les lasers les plus énergétiques au monde. Il participe à présent à la préparation scientifique du satellite d’exoplanétologie CHEOPS.

Arlette NOELS

Arlette Noels a débuté sa carrière dans le groupe du Professeur Paul Ledoux, spécialiste de renommée internationale en structure interne et stabilité des étoiles. À l’époque, l’astrophysique stellaire en était à ses débuts. Séduite par la possibilité de «calculer» un modèle d’étoile, c’est naturellement qu’elle consacrera sa thèse et ses recherches ultérieures à l’astrophysique stellaire théorique. Promue professeur à l’université de Liège, elle a supervisé plusieurs thèses de doctorat et a dirigé un groupe d’une dizaine de chercheurs. Ainsi, après avoir eu la chance de vivre l’époque passionnante où les théories d’évolution stellaire ont livré leurs secrets, le Professeur Arlette Noels s’est engagée dans une nouvelle épopée stellaire où ce sont désormais les observations qui dévoilent le cœur des étoiles, grâce à l’astérosismologie.

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