Une publication dans Nature Nanotechnology

Les oligorotaxanes, des machines moléculaires artificielles capables de dépasser les performances de protéines naturelles


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Des chercheurs du laboratoire NANOCHEM (Unité de recherches MolSys) de l’Université de Liège ont étudié des molécules synthétisées par le groupe de Sir Fraser Stoddart, prix Nobel de Chimie 2016 et professeur à la Northwestern University. Les résultats obtenus dans le cadre de cette recherche et publiés dans la revue Nature Nanotechnology(1) ouvrent de nouvelles pistes dans l’utilisation des machines moléculaires, ces molécules synthétiques qui effectuent un mouvement contrôlé sur commande.

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’est en 2016 que les chimistes Jean-Pierre Sauvage, Sir J. Fraser Stoddart et Ben L. Feringa, se voient attribuer le prix Nobel de Chimie pour leurs travaux sur le design et la synthèse de machines moléculaires*, ces molécules synthétiques de la taille du nanomètre auxquelles on peut faire faire un mouvement sur commande, résultant en un travail mécanique. Si les premiers développements se « limitaient » à la formation de deux anneaux entrelacés comme les maillons d'une chaîne,  les développements sur lesquels travaillent aujourd’hui les chercheurs permettent de synthétiser des molécules beaucoup plus complexes et de faire faire à ces molécules des mouvements directionnels parfaitement contrôlés permettant la réalisation de tâches bien définies, comme le transport d'objets à la manière de bras robotiques.

Depuis une quinzaine d'années, les chimistes développement également des molécules capables de se replier pour former des architectures tridimentionnelles bien définies, appelées "foldamères", qui miment les propriétés des protéines naturelles. Une grande partie de la recherche se concentre sur l'efficacité de la synthèse de ces molécules.

« Le repliement des molécules est un processus omniprésent que la nature utilise pour contrôler la conformation de ses machines moléculaires afin d'effectuer des tâches chimiques et mécaniques comme la contraction des muscles ou le transport cellulaire, explique le Pr Anne-Sophie Duwez, directeur du Laboratoire NANOCHEM (Nanochimie et Systèmes Moléculaires - Unité de recherches MolSys), actuellement le seul au monde à pouvoir réaliser des mesures de forces sur des petites molécules synthétiques.

Les molécules mécaniquement liées, comme les rotaxanes (un anneau enfilé autour d'un axe) et les caténanes (deux anneaux entrelacés), sont des prototypes de machines moléculaires qui permettent le mouvement contrôlé et le positionnement de leurs composantes. C’est en combinant l'élégante complexité de ces deux familles de molécules (molécules repliées et molécules mécaniquement liées) que les chercheurs de l'Université de Northwestern ont réussi à synthétiser des oligorotaxanes, des molécules dans lesquelles un axe moléculaire et replié en serpentin et passe au travers d’une série d'anneaux (Figure 1).

oligorotaxanes


Dans le cadre de cette recherche, les chercheurs liégeois et Damien Sluysmans - doctorant et premier auteur de l'article - en particulier ont « tiré »  sur ces oligorotaxanes synthétiques à l'aide d'un microscope à force atomique pour les forcer à se déplier en rompant les interactions qui maintenaient la structure repliée (Figure 2). Ils ont pu constater que les molécules résistaient au dépliement et étaient capables de produire une force intense pour reformer les interactions et ainsi se replier contre la force extérieure appliquée. La force exercée par ces molécules synthétiques pour se replier étant bien supérieure à celle que les molécules biologiques naturelles équivalentes sont capable de produire.

Ces résultats, publiés dans la revue Nature Nanotechnology, montrent que les oligorotaxanes synthétiques ont le potentiel de dépasser la performance des protéines repliées naturelles. Pour pouvoir apprécier le potentiel technologique de ces résultats, et des machines moléculaires synthétiques en général, il suffit de constater que des machines moléculaires naturelles sont au cœur de tous les processus biologiques important des êtres vivants.

Bien que les perspectives qu’offre le recours aux machines moléculaires soient importantes, dans la mesure où ces molécules pourraient être utilisées pour la mise au point de muscles ou de pistons artificiels performants, pour apporter des médicaments au plus près d’une tumeur cancéreuse, ou encore pour permettre de stocker et de traiter des données à l’échelle d'une seule molécule pour le domaine de l'informatique, leurs applications concrètes doivent encore être étudiées et développées. Le comité Nobel 2016 terminait son rapport en écrivant que « nous sommes à l'aube d'une nouvelle révolution industrielle du 21ème siècle et que le futur nous montrera comment les machines moléculaires peuvent devenir partie intégrante de nos vies. Les avancées faites dans le domaine ont donné lieu aux premiers pas vers la création de machines vraiment programmables et l'on peut maintenant envisager que la robotique moléculaire sera un des domaines scientifiques majeurs du futur. » Et Anne Sophie Duwez de conclure : « Les machines moléculaires sont  une formidable récompense pour la science fondamentale, une source d'inspiration et de créativité scientifique. »

Pour mieux comprendre

Les machines moléculaires sont, comme leur nom l’indique, des machines faites d’assemblages de composants moléculaires capables d’utiliser une source d’énergie (lumineuse, thermique ou chimique) pour la transformer en énergie mécanique, à l’image du moteur d’une voiture qui transforme l’énergie apportée par le carburant pour la transformer en énergie mécanique qui fera tourner les roues du véhicule. C’est grâce à ces machines que « fonctionnent » les êtres vivants de façon globale.  Ce sont ces machines qui permettent à nos muscles de transformer l’énergie chimique contenue dans nos aliments en force mécanique. En s’étirant et se contractant, les machines moléculaires permettent les mouvements des muscles.

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Les machines moléculaires

En 2016, le prix Nobel de chimie a été décerné aux créateurs des machines moléculaires.
Leurs inventions sont 1000 fois plus petites que la largeur d’un cheveu humain. Jean-Pierre Sauvage a relié entre elles des molécules en forme d'anneau pour créer des chaînes moléculaires. Fraser Stoddart a créé une navette circulant le long d'un axe moléculaire. Il a utilisé cet axe pour construire un ascenseur moléculaire qui peut s'élever de 0,7 nanomètres. Il a aussi créé une puce d'ordinateur bien plus petite qu’un transistor en silicium disposant de 20kB de mémoire. Ben Feringa a construit le premier moteur moléculaire... et l'a utilisé pour fabriquer une nanocar à quatre roues motrices capable de se déplacer.

Références scientifiques

(1) D. Sluysmans, S. Hubert, C. J. Bruns, Zhixue Zhu, J. F. Stoddart and A.-S. Duwez, Synthetic oligorotaxanes exert high forces when folding under mechnical load, Nature Nanotechnology, 2017.
Consulter la référence dans ORBi

D. Sluysmans, F. Devaux, C. J. Bruns, J. F. Stoddart, A.-S. Duwez, Proc. Natl. Acad. Sci. 2017, in press (DOI:10.1073/pnas.1712790115).

AS Duwez

Anne-Sophie Duwez a obtenu son doctorat en chimie en 1997 à l'Université de Namur. Elle a ensuite rejoint l'Université catholique de Louvain en tant que Chargé de Recherches FNRS. De 2002 à 2003, elle a séjourné à l'institut Max Planck à Mainz en Allemagne. Elle est ensuite revenue à l'UCL pour développer la spectroscopie de force sur molécule unique par AFM (Microscopie à force atomique). En 2006, elle a été nommée chargé de cours à l'ULiège et a obtenu un mandat d'impulsion scientifique du FNRS pour créer un nouveau laboratoire destiné aux techniques AFM avancées. Elle est actuellement professeur au département de chimie. Ses recherches se focalisent sur le développement de techniques AFM pour manipuler des molécules individuelles. Anne-Sophie Duwez participe au projet Européen FETOPEN MEMO pour la conception de moteurs et embrayges moléculaires capables d'effecteur des mouvements collectifs et synchrones. Nanochem est actuellement le seul groupe au monde à pouvoir réaliser des mesures de forces sur des petites molécules synthétiques.

Contact

Anne-Sophie DUWEZ - asduwez@uliege.be

NANOCHEM I Unité de recherches MolSys I Faculté des Sciences

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