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INTRAVEINEUSES Le deuxième projet wallon auquel participent les deux uni- versités, TreeInjection, est plus ambitieux et plus éloigné de son aboutissement : injecter directement les huiles essentielles dans la sève de pommiers et poiriers, pour les protéger contre certaines maladies fongiques ou certains insectes. « Lorsqu’un agriculteur traite un arbre, l’essen- tiel du produit va se déposer à côté de sa cible, explique Marie-Laure Fauconnier. Notre idée est d’appliquer direc- tement le traitement à base d’huile dans la sève de l’arbre, un peu à la manière d’une intraveineuse! ». On devine que le choix des huiles, partie de la recherche qui incombe aux chercheurs de Gembloux, n’est pas évident. Il faut qu’elles détruisent soit les champignons, soit les insectes sans endommager l’arbre, qu’elles ne causent ni stress pour l’arbre, ni perte de rendement ou de qualité. Et s’assurer qu’on ne va pas retrouver le parfum des huiles dans les fruits ! Pour y arriver, les chercheurs testent des mélanges d’huiles, des dosages et des moments d’application. Et aussi des dispositifs permanents qui permettraient en quelque sorte un “goutte à goutte”. Pour le Pr Haïssam Jijakli, responsable de l’unité gestion durable des bio-agresseurs au sein de Gembloux Agro- Bio Tech, la rencontre avec les huiles essentielles s’inscrit dans les recherches déjà anciennes sur des méthodes alternatives aux pesticides chimiques. Des recherches qui ont déjà débouché sur des produits brevetés, comme des levures qui protègent les fruits de maladies d’après récolte, qu’on peut aujourd’hui aisément se procurer dans le com- merce. Ce souci du marché, le Pr Jijakli ne l’a pas perdu quand il a commencé à s’intéresser aux huiles essentielles : « Entre le paramédical ou la parfumerie de luxe et la pul- vérisation dans les champs, il y a une différence d’échelle ! Cette différence nous oblige à ne retenir que des huiles produites à un prix raisonnable, à base de plantes qui ne sont pas rares ou qui peuvent être facilement cultivables. » Car le but est d’essayer de produire des huiles essentielles qui pourraient remplacer les herbicides ou les fongicides chimiques. L’équipe du Pr Jijakli est donc partie d’un cata- logue de 3000 huiles essentielles pour n’en retenir qu’une centaine sur base de critères économiques. Et ce n’est qu’à ce moment que la recherche d’éventuels effets fongicides et herbicides a commencé. « Nous avons travaillé sur les modes d’action de ces huiles sur les plantes et les champi- gnons afin, et c’est notre spécialité, de mettre au point les meilleures formules possibles. » Les huiles essentielles, en effet, ne se mélangent pas faci- lement à l’eau ; il faut donc réaliser une émulsion où les gouttelettes d’huile présentes dans le liquide sont les plus fines possibles et les plus stables pour que la répartition sur la plante qu’on veut protéger ou détruire soit la plus adéquate. Autre problème : les huiles essentielles sont, par définition, volatiles mais aussi sensibles aux rayons ultra-violets. Il faut donc trouver des adjuvants qui contre- carrent ces défauts. Une précision s’impose ici : si, au départ pour des raisons de facilité, ces adjuvants étaient chimiques, ils ont tous été remplacés au fil du temps par des adjuvants biosourcés. « Notre philosophie est claire : quand on dit qu’on met en place un produit biologique, cela vaut aussi bien pour la matière active que les adju- vants. Le brevet que nous avons déposé prend d’ailleurs cette spécificité en compte », précise le Pr Jijakli. Ces travaux ont duré sept ans au terme desquels l’équipe gem- bloutoise a identifié trois huiles essentielles fongicides et trois herbicides. BIOHERBICIDES « On connaît la polémique qui entoure aujourd’hui l’usage du glyphosate, herbicide total classé comme “probable- ment cancérogène” par l’OMS, rappelle Haïssam Jijakli. Il y a donc une opportunité de marché pour une huile essen- tielle herbicide totale et des herbicides spécifiques, vu la tendance aux produits biologiques. Actuellement, il n’y a que deux bioherbicides disponibles, l’un à base d’acide pélargonique, un extrait de pélargonium (géranium), le second à base d’acide acétique dérivé du vinaigre. En 2017, nous avons donc lancé un projet first spin-off sub- ventionné par la Région wallonne. Il vient d’être prolongé d’un an, pour développer une activité économique basée sur les bioherbicides mis en évidence dans le laboratoire. Dans le courant de cette année probablement, une société devrait voir le jour afin de commercialiser des produits. » Produits au pluriel en effet, car les trois huiles herbicides Les huiles essentielles : bientôt une alternative aux herbicides sélectionnées ont des actions différentes. L’une se pré- sente comme un herbicide total et a donc pour vocation de se substituer au glyphosate. Une autre est efficace contre les monocotylées (céréales, gazon, etc.) et la troisième contre les dicotylées (mouron, renoncules, etc.). Cette dernière est intéressante pour les particuliers car elle per- mettrait de détruire les mauvaises herbes dans le gazon des pelouses. Deux des trois plantes dont sont issues les huiles herbicides étant cultivées hors de nos frontières, la production des huiles se fera sur place, ce qui évitera de transporter de grandes quantités de plantes et permettra de réaliser une plus-value localement. Ce n’est cependant pas demain que l’on pourra trouver les bioherbicides gembloutois dans les rayons des supermar- chés. Le développement des produits finalisé l’an prochain, il faudra ensuite déposer un dossier d’homologation auprès de l’Europe, ce qui ne sera pas possible avant 2023 au plus tôt. Des organismes agréés devront en effet réaliser des tests d’efficacité en vraie grandeur, puis des tests de toxi- cité (ces produits ne doivent évidemment pas être dange- reux pour les humains) et d’écotoxicité (ils ne doivent pas être nuisibles pour l’environnement). Tous les résultats de ces études devront alors être soumis à l’Europe… qui pren- dra un certain temps avant de remettre un avis ! S. Dal Maso Trèfle avant… et après traitement avec une huile essentielle 28 mai-août 2019 / 273 ULiège www.uliege.be/LQJ mai-août 2019 / 273 ULiège www.uliege.be/LQJ 29 omni sciences omni sciences

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