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tiques ne vont pas, non plus, toujours produire exac- tement les mêmes huiles car leur composition dépend aussi du terroir, du climat, de la saison de cueillette, etc. Des difficultés qui sont sources de variation des prix qui, combinées à la complexité de l’approvisionnement, consti- tuent des freins à leur utilisation. Et qui montrent aussi combien les huiles essentielles et leurs modes d’action sont encore mal compris. « C’est la raison pour laquelle, explique Marie-Laure Fauconnier, nous sommes engagés dans le projet européen “European Hub on new challen- ges in the field of essential oil” qui regroupe des acteurs académiques et économiques de différents pays et qui vise à partager et diffuser les connaissances sur les huiles essentielles. Nous mettrons en ligne des cours, des sup- ports pédagogiques et, plus particulièrement en ce qui nous concerne, des informations sur les utilisations agro- nomiques. » Un effort d’information très utile mais qui devra être ali- menté par des recherches fondamentales parce que la plu- part des publications sur les huiles essentielles restent à ce jour très descriptives. Le laboratoire gembloutois contribue à combler ces lacunes puisque deux chercheuses FNRS y étudient comment les huiles essentielles interagissent avec les membranes des cellules végétales. PROTÉGER LES STOCKS DE GRAINS Le laboratoire de chimie des molécules naturelles est éga- lement engagé dans deux projets financés par la Région wallonne, dont le Pr Thierry Hance de l’UCLouvain est le promoteur. Le premier, OILPROTECT, vise à isoler des huiles essentielles qui pourraient agir en tant qu’insecti- cides dans les silos à grains. Une aventure que les deux universités ont entreprise ensemble… au Cameroun ! « Nous avons commencé à travailler sur la protection des stocks de grains il y a quelques années, lors d’une collaboration avec le Cameroun, se souvient le Pr Thierry Hance, directeur du laboratoire Ecology of interactions and biological control (ELIB) de l’UCLouvain. Les paysans stockaient les grains dans des silos en terre où prolifé- raient les insectes qui détruisaient une part non négli- geable des récoltes. » Comment les empêcher de nuire ? Les partenaires camerounais du projet se sont souvenus que les paysans utilisaient jadis des plantes pour éliminer les insectes, alternant dans les silos des couches de feuilles et de grains. Les chercheurs ont donc commencé par répertorier ces plantes avant d’en extraire des huiles essentielles et d’étudier les meilleurs moyens de les utiliser pour protéger les récoltes. L’expérience camerou- naise s’est soldée par un succès qui a intéressé la Région wallonne et l’entreprise belge Biosix spécialisée dans le stockage de grains : elles ont décidé de cofinancer des recherches pour développer un produit similaire utilisable chez nous contre les charançons ( Sitophilus granarius ), les silvains ( Oryzaephilus surinamensis ) et autres capu- cins des grains ( Rhyzopertha dominica ). « Nous travail- lons sur des mélanges d’huile essentielle, précise Marie- Laure Fauconnier. Nous cherchons des formulations qui permettent une diffusion lente et contrôlée, notamment en mélangeant les huiles avec d’autres composés non volatils mais toujours biobasés car il faut rester 100% naturel. » Que des plantes repoussent les insectes qui s’en approchent, voire les tuent, a été observé depuis longtemps. Par contre, on en sait encore peu sur ces mécanismes de défense. Mieux les comprendre est la tâche de l’équipe de Thierry Hance. Les chercheurs ont tout d’abord privilégié la piste de l’action des huiles essen- tielles sur l’octopamine des insectes, un neurotransmet- teur, c’est-à-dire une molécule qui assure le contact entre deux neurones différents en vue de la transmission de l’influx nerveux. Fait intéressant, ce neurotransmetteur existe chez les insectes mais pas chez les vertébrés, donc pas chez les humains. Les huiles essentielles qui bloquent ce système de transmission n’ont donc pas d’influence sur notre système nerveux, une caractéristique qui est évidemment obligatoire dans la recherche de produits qui doivent certes être naturels mais aussi sans danger pour les humains. Mais ce n’est pas la seule piste. Les chercheurs lou- vanistes s’intéressent à d’autres modes d’action des huiles essentielles, notamment sur des bacté- ries qui vivent en symbiose avec les insectes. Un tra- vail que vient d’entamer François Renoz suite à sa thèse de doctorat. « J’ai étudié les relations entre des bactéries et les puce- rons. Ceux-ci abritent en effet des bactéries sym- biotiques dites obligatoires parce qu’elles fabriquent des acides aminés indispen- sables à la survie de l’insecte mais que celui-ci ne trouve pas dans son milieu de base, en l’occurrence la sève végétale dont il se nourrit. Si on supprime la bactérie, le puceron ne peut se reproduire et meurt ». Peut-il en être de même avec les insectes qui se cachent dans les silos à grains ? C’est ce que tente de vérifier François Renoz. Les symbiotes obligatoires sont fragiles parce qu’elles sont localisées uniquement dans des structures particulières et parce qu’elles sont dégénérées du fait de leur spécia- lisation. Les stress environnementaux peuvent donc avoir un impact négatif sur elles. « Une de nos hypothèses, explique François Renoz, est que les huiles essentielles pourraient être un de ces stress mettant à mal ce maillon faible des insectes ciblés. Pour cela, j’étudie les modes d’action de ces huiles sur l’insecte en général, son sys- tème nerveux et digestif mais aussi sur ce partenariat. Par exemple, le charançon est associé à un symbionte obliga- toire qui a un rôle nutritif et pourrait être impacté par les huiles. Ce serait alors un mode d’action intéressant pour détruire l’insecte. Pour l’instant, ce n’est cependant qu’une hypothèse à tester. » Qu’est-ce qu’une huile essentielle ? Une huile essentielle, à ne pas confondre avec une huile végétale comme l’huile d’olive, est un liquide concentré obtenu par la distillation d’une plante ou partie de plante (fleur, feuille, écorce, fruit, etc.). La distillation est un procédé qui permet de sépa- rer les composants d’un mélange dont les tempé- ratures d’ébullition sont différentes. Dans le procédé le plus classique, un lit de plantes aromatiques est traversé par de la vapeur d’eau qui va entraîner les composés volatils de la plante. La vapeur est ensuite refroidie, provoquant la sépara- tion de l’eau et de l’huile essentielle qui surnage et peut ainsi être récupérée. Seules les plantes odorantes sont utilisées pour la fabrication d’huiles essentielles puisque ce sont les composés volatils de la plante qui sont distillés. L’extrait obtenu est souvent très complexe puisque composé de quelques dizaines, voire centaines, de molécules différentes. Leur utilisation en parfu- merie, cosmétique ou dans l’industrie alimentaire (arômes) et l’aromathérapie est depuis longtemps pratique courante. Elles sont utilisées au quotidien dans les diffuseurs de parfum d’ambiance ou dans des tisanes. Ce n’est que plus récemment que la recherche scientifique s’est emparée de ces huiles afin d’en étudier les propriétés herbicides, insecti- cides ou fongicides. Des huiles pour favoriser la symbiose naturelle entre le végétal et les insectes Laboratoire de chimie des molécules naturelles 26 mai-août 2019 / 273 ULiège www.uliege.be/LQJ mai-août 2019 / 273 ULiège www.uliege.be/LQJ 27 omni sciences omni sciences

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