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« Pourtant, tem- père la Pr Bénédicte Vertruyen, spécialiste des matériaux inorga- niques de synthèse au laboratoire Greenmat à l’ULiège, des com- posés plus performants ou plus durables que les matériaux actuels sont en cours de développement dans les labora- toires du monde entier. Ils ne sont pas encore commer- cialisés, soit parce qu’ils sont à un stade trop fondamental, soit pour des raisons économiques. » Les échelles sont effectivement différentes dans le secteur industriel et contraignent à une inertie de 30 à 40 ans. « Si on consi- dère les implantations minières, les usines de fabrication des produits et enfin les lignes de production, les investis- sements sont exorbitants, relaie David Eskenazi . Le temps pour trouver les financements, construire les infrastruc- tures et les rentabiliser est énorme. À titre d’exemple, la France et l’Allemagne ont dégagé deux milliards d’euros pour financer le secteur. C’est ce qui permet de construire quatre usines d’assemblage cellules. Samsung, à elle seule, en compte 14. » Le lithium-ion ne scelle pas pour autant la fin de l’histoire. « La batterie idéale, hyper-per- formante pour toutes les applications, n’existera proba- blement jamais, poursuit Bénédicte Vertruyen. Plutôt un ensemble de quelques batteries complémentaires corres- pondant à différentes priorités dans le compromis entre performance technique, coût, durabilité et impact social. » Un autre enjeu plane au-dessus de l’Europe. « Des pays comme la Chine ont senti la vague électrique arriver et se sont positionnés partout, de l’extraction des métaux à la distribution des batteries, explique le Pr Éric Pirard, du département de génie minéral, matériaux et environnement (Gemme) de l’ULiège . L’abandon des hydrocarbures se fait au profit des géants asiatiques dont nous devenons énergétiquement dépendants. Le réveil est terrible pour l’Europe. En fondant la European Battery Alliance, elle vise à inventorier ses ressources et à favoriser l’innovation. Des initiatives du côté des pays scandinaves, avec North Volt notamment, sont à saluer. Du point de vue écologique, l’électrique contamine moins directement l’air de nos villes, mais son empreinte globale doit être remise en question. » TRÉSORS DÉTERRÉS L’Europe a progressivement délocalisé la pollution indus- trielle et mis des œillères pour ne plus la voir. Avec l’émer- gence des batteries et du renouvelable, cette logique continue. « Une prise de conscience générale de ce qu’implique l’imbrication entre énergies et métaux est essentielle, martèle Éric Pirard. Il n’y a pas d’éner- gie sans matières premières. La production d’énergie verte n’échappe pas à la règle et la diversité des métaux explose ! On le sait pour les batteries ; les panneaux solaires sont constitués de silicium, de cuivre, d’argent, d’indium, de gallium ; les matrices des éoliennes, de super-aimants à base de terres rares… Pour exploiter et transformer ces métaux, nous dépensons de l’énergie. Ce besoin énergétique ne fera que croître à mesure que les gisements les plus accessibles s’appauvriront, et ainsi de suite. » Mieux anticiper cette nouvelle ruée vers les métaux et repenser nos modèles de consommation nous éviteront une fois de plus, de dilapider des ressources promet- teuses. En outre, plusieurs pistes s’articulent autour de la question du recyclage. « Une grande différence entre le pétrole et les métaux, c’est que le pétrole se consume, souligne Éric Pirard . Les métaux, eux, peuvent être réutilisés. Rien n’est plus simple à recycler qu’une batterie au plomb, par exemple. Mais plus une technologie se complexifie, plus elle nécessite différents composants, ce qui ne facilite pas le recyclage. De plus, la teneur de certains métaux est parfois si faible que cela n’incite pas à la récupération. On peut toutefois penser la conception de manière à simplifier cette ultime étape. » Il y a d’ailleurs urgence. « Tout est prêt pour que les batteries soient vendues partout. On en imagine très bien les effets bénéfiques : en Afrique, par exemple, des villages reculés vont gagner en autonomie énergétique. Mais nous devons accompagner cette disper- sion par une réflexion sur un modèle de collecte au moins aussi performant », souhaite le Pr Pirard . Par ailleurs, il faut être conscient qu’un recyclage optimal ne permettra pas de rencontrer nos besoins exponentiels en matériaux : même si nous récupérions tout le cuivre produit il y a 40 ans, il ne comblerait pas la moitié de nos besoins actuels. Dans le domaine de l’extraction, Éric Pirard convoque l’économie locale et circulaire pour penser la réouverture des mines en Europe : « Ce serait une solution pour se rendre compte des impacts sociaux et environnementaux des activités extractives et mieux les contrôler. Une socié- té organisée en circuits courts enraie un autre problème, celui d’une mobilité extrême et globale, rendue possible par un coût qui ne reflète pas son gaspillage énergétique. En étant bien organisé, nous pourrions trouver toutes les ressources dont nous avons besoin dans un rayon de 1000 kilomètres, à quelques exceptions près. Il y a du lithium au Portugal et en Serbie et du cobalt en Finlande… Nous pourrions ensuite développer et organiser des filières industrielles dans une perspective circulaire autour des différents cycles de vie des matériaux, le tout à l’échelle de l’Europe. » Les projets comme North Volt vont dans cette direction, mais ils restent humbles en regard du dévelop- pement asiatique. Une solution de grande envergure ne verra probablement pas le jour, notamment pour des ques- tions d’investissements difficiles à assumer. Mais la ques- tion a le mérite d’alimenter les débats. BATTERIES FLEXIBLES Si le lithium-ion a encore de beaux jours devant lui, la large déclinaison de ses affectations encourage les réflexions autour de nouveaux matériaux. Une opportunité saisie par des laboratoires de l’ULiège, dont le Greenmat. « Nous nous intéressons aux technologies similaires au lithium- ion, mais plus respectueuses de l’environnement via le remplacement du lithium par le sodium, beaucoup plus abondant dans la nature. Nous travaillons également sur des batteries flexibles, qui ne nécessitent plus de feuilles conductrices en cuivre ou en aluminium, et sur la réduc- tion de la taille des particules afin d’offrir des perfor- mances égales pour moins de matériaux utilisés », expose Bénédicte Vertruyen. Tout récemment, le laboratoire a reçu un financement de la J. Tournay Le robot Pick it au sein du laboratoire de traitement et de recyclage des matières minérales (tri intelligent) Rouvrir des mines en Europe ? 42 mai-août 2019 / 273 ULiège www.uliege.be/LQJ mai-août 2019 / 273 ULiège www.uliege.be/LQJ 43 omni sciences omni sciences

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