LQJ 273

Le Quinzième Jour : Avant toute chose, quelle est la distinction entre les termes de “réfugié”, “demandeur d’asile” et migrant ? Que dit la loi en matière d’accueil des réfugiés ? Sibylle Gioe : Dans le langage juridique, celui de la Convention de Genève (1951), un réfugié est une per- sonne qui, au terme d’une procédure administrative, s’est vu reconnaître le statut de réfugié en consi- dérant qu’elle craint avec raison d’être persécutée en raison de sa race, de son opinion politique, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un groupe social si elle retourne dans son pays d’ori- gine. J’ai espoir que cette définition limitée évolue et veuille inclure les situations d’extrême pauvreté, puisque des états semblent impuissants à protéger économiquement leurs ressortissants. Dès qu’une per- sonne introduit une requête de protection internatio- nale (anciennement “demande d’asile”) , elle a le statut de “demandeuse de protection internationale” et jouit immédiatement de certains droits durant l’examen de sa demande, comme le droit à un accueil et celui de ne pas être expulsée... Si un étranger ne demande pas d’autorisation de séjour en Belgique, son séjour est irrégulier et il ne bénéficie en principe que de l’aide médicale urgente. La loi ne recourt nulle part pas au terme de “migrant”. Elsa Mescoli : “Migrant” est un terme qui renvoie au fait de bouger, de quitter un endroit, et c’est le terme large que j’utilise prioritairement. Néanmoins, en sciences sociales, il y a un grand débat au niveau de l’emploi des catégories qui désignent les individus, emploi qui n’est jamais neutre. Par exemple : comment définit-on les réfugiés ? S’en tient-on à la définition juridique, ou parle-t-on de tout individu qui fuit un pays dans lequel il ne peut vivre ? Doit-on distinguer le migrant fuyant la guerre et celui qui fuit l’extrême pauvreté, que l’on appelle “migrant économique” ? Ces distinctions tiennent rarement compte du fait que la liberté de mouvement est un droit de l’homme et ont tendance à établir une hiérarchie entre migrants légi- times et ceux qui ne le seraient pas. S.G. : Dans le cadre de la demande de protection internationale, le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (CGRA) ne fait que constater une réalité préexistante. Lorsqu’elle arrive sur le territoire et avant d’introduire sa demande, la personne est déjà “réfu- giée”, en ce sens qu’elle craint déjà d’être persécutée si elle est expulsée vers son pays d’origine LQJ : Quelle est la procédure à suivre pour intro- duire une demande d’asile ? S.G. : Si la personne est arrêtée à la frontière sans dis- poser de documents de séjour, elle sera conduite dans un centre fermé où elle introduira sa demande de pro- tection internationale. Si elle est déjà sur le territoire, elle doit se rendre à l’Office des étrangers pour son identification, par empreintes digitales. C’est en effet sur cette base que l’Office va évaluer si la Belgique est bien responsable de la protection internationale ou si, en application du règlement de Dublin, elle doit trans- férer le demandeur dans le pays européen d’arrivée ou celui qui a délivré le visa. Le règlement de Dublin a pour principe qu’un seul État européen est responsable de la demande de protection internationale. Généralement, les personnes n’ont pas la possibilité d’obtenir un visa, de sorte qu’elles arrivent dans l’Union européenne par terre ou mer de manière irrégulière. Les états respon- sables de leur demande de protection internationale sont donc les pays situés en périphérie de l’Europe (Grèce, Espagne, Italie), où les conditions d’accueil sont dramatiques et les maltraitances avérées. C’est la raison pour laquelle beaucoup de personnes sont tétanisées à l’idée de demander une protection interna- tionale en Belgique, par crainte de se voir appliquer ce règlement, et de devoir retourner dans ces pays. Ce règlement est en fait une manière d’externaliser la prise en charge des réfugiés. L’Union européenne veut éviter les mouvements secondaires. En effet, depuis que seule la frontière extérieure demeure, il est maté- riellement plus facile de circuler et de choisir son pays d’accueil. Certains auteurs préconisent une réforme du règlement qui prendrait en compte le choix du deman- deur, afin d’équilibrer la responsabilité entre les états et d’éviter que des personnes restent sur le territoire belge sans protection, effrayées à l’idée de demander la protection internationale. LQJ : Plus globalement, comment qualifiez-vous la politique européenne en matière d’accueil de réfu- giés ? L’accueil est-il suffisant ? E.M. : Il faut être conscient que la plupart des réfugiés ne sont pas en Europe. Les chiffres démontrent qu’ils sont principalement dans les pays en développement, en Afrique ou au Proche-Orient. Et pourtant, l’Eu- rope mène une politique restrictive, et les États euro- péens se renvoient la balle entre eux. Il y a aussi une forme de criminalisation des migrants. A priori , et peu importe leur statut, les personnes d’origine étrangère sont stigmatisées. Souvent, le migrant est un bouc émissaire, tenu responsable de dysfonctionnements économiques, politiques ou sociaux. Le “bon migrant”, tant du point de vue de sa moralité et de son apport en termes économiques est par exemple quelqu’un de hautement qualifié, diplômé. On l’appelle alors “expa- trié”. Cette différence dans les termes contribue à pénaliser certains migrants. S.G. : Il est vrai que 1 300 000 réfugiés sont arrivés en 2015 dans l’UE, alors qu’auparavant les entrées s’élevaient plutôt à un nombre compris entre 200 000 et 400 000. Cependant, l’objectif de réinstallation de 20 000 personnes en Europe pour répondre à la crise n’a pas été atteint, alors que c’est un nombre ridicule. De nouveau, c’est une politique d’externalisation qui prévaut. Par exemple, en juin 2018, le Conseil européen a envisagé de créer des hotspots (concentration de personnes dans des camps en vue de leur identifica- tion et de leur enregistrement) en dehors du territoire européen. Dans la même idée, des fonds européens sont libérés pour soutenir un accord entre l’Italie et la Libye afin qu’elle renforce ses frontières. De même, l’UE a offert 3 000 000 d’euros à la Turquie pour qu’elle contrôle mieux sa frontière avec la Grèce. Pour moi, l’UE a une grande responsabilité dans les nombreux morts de la migration, en adoptant une politique d’externalisation qui produit des cadavres en périphérie, en mer, dans le désert… LQJ : Certains prônent la libre circulation des per- sonnes : est-ce une bonne ou une fausse bonne idée ? S.G. : Des études ont montré qu’une plus grande faci- lité de circuler permettrait d’éviter d’avoir des dizaines de milliers de personnes en séjour illégal. Si le visa “court séjour” était plus facile à obtenir, les gens ne recourraient pas aux passeurs, ne risqueraient par leur vie en mer… Un accès plus facile au visa permettrait de réduire le nombre de migrants en séjour irrégulier. Dans certaines situations, des migrants confient que, s’ils étaient sûrs de pouvoir revenir en Belgique où ils ont tissé des liens, ils retourneraient dans leur pays ou effectueraient des allers-retours. E.M. : Discuter de l’ouverture des frontières, c’est alimenter un discours qui effraie. Il faut réfléchir sur le droit au déplacement dans un cadre juridique juste et qui permet de jouir de ce droit. La Convention de Genève elle-même exige que la demande du statut de réfugié soit effectuée dans un autre pays que le sien. La multiplication et la fermeture des frontières alimentent une économie illégale, notamment au niveau du trajet emprunté par ces personnes qui quittent leur pays d’origine vers un autre. S.G. : Pour bénéficier du statut de réfugié, la conven- tion de Genève impose d’avoir quitté son pays. Cependant, il n’y a pas pour autant de droit d’entrer sur le territoire de son choix. Plutôt que de générer cette insécurisation pour des personnes vulnérables, pour- quoi ne pas autoriser l’introduction de demandes de protection internationale depuis les ambassades ? LQG : L’apport des réfugiés, dit-on, dépendrait de leur accueil… S.G. : Des études montrent en effet que plus l’ac- compagnement à l’intégration est concret (scolarité, formation, apprentissage de la langue), plus l’apport économique est positif. C’est notamment le cas en Allemagne qui a accueilli plus d’un million de réfugiés. D’un point de vue humanitaire, il me semble cependant que la question de la “rentabilité” de l’étranger n’a pas sa place: l’objectif est d’abord de sauver des vies. E.M. : L’ouvrage Pourquoi l’immigration ? , écrit par deux chercheurs du Cedem – Jean-Michel Lafleur et Abdeslam Marfouk –, déconstruit les clichés en parlant aussi de l’apport économique. Ils démontrent que les migrants apportent plus que ce qu’ils coûtent. Mais je suis d’accord avec le fait que l’intégration ne se mesure pas nécessairement sur ce plan. Ce n’est pas la bonne manière de raisonner, car le concept d’in- tégration est flou et large. Qu’entend-on par intégra- tion ? Qu’est-ce que la société met en place pour que les personnes “s’intègrent” ? Ce qui émerge de nos rencontres et discussions sur le terrain dans le cadre de nos recherches, c’est qu’il y a des interférences entre la politique fédérale et la sphère de l’intégration qui ne sont pas bénéfiques. Pensez par exemple aux rafles dans les associations qui promeuvent l’inter- culturalité. Il faudrait plutôt penser la politique d’accueil et d’intégration dans sa globalité. LQJ : Comment qualifieriez-vous l’attitude de la Belgique ? E.M. : Elle se voile la face par rapport à certaines ques- tions. Des personnes sont sur notre territoire et, d’un point de vue humain et civique, ont le droit d’y être. Mais la politique fédérale a tendance à exclure : on choi- sit qui peut être accueilli, celui qui aura un “bon” profil 58 mai-août 2019 / 273 ULiège www.uliege.be/LQJ mai-août 2019 / 273 ULiège www.uliege.be/LQJ 59 le dialogue le dialogue

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