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LQJ : Quel regard portez-vous justement sur cette mobilisation citoyenne? E.M. : Concrètement, cette mobilisation est positive dans la mesure où elle aide à améliorer les conditions de vie de certains individus et où elle constitue une preuve du fait qu’une partie de la population n’est pas d’accord avec les politiques menées au fédéral. Évidemment, ces initiatives ne sont pas exemptes de critiques : certains opérateurs estiment qu’elles peuvent justifier une décharge de responsabilité de l’État. Les migrants eux-mêmes, par exemple ceux qui sont en séjour irrégulier parce qu’ils ont été déboutés de la procédure d’asile, se mobilisent dans des actions collectives, artistiques entre autres, et participent aussi à des luttes transversales qui appellent au respect des droits civiques et à l’établissement de conditions structurelles plus accueillantes. Les activités de La Voix des sans-papiers de Liège vont dans cette direction. Pour la Déclaration universelle des droits de l’homme et le pacte des Nations unies, la dignité humaine est un ensemble de droits : à la scolarité, à la santé, à l’alimen- tation, le droit de se réunir, de participer aux progrès scientifiques et culturels, etc. Il y a néanmoins aussi une question de continuité de la mobilisation citoyenne, car l’arrêt brusque de ce processus d’accompagne- ment, lorsqu’il est nécessaire, et de valorisation de l’action des migrants pourrait avoir des effets dévas- tateurs s’il n’y a pas des conditions structurelles qui permettent l’inclusion et la participation. S.G. : Je suis ravie de voir la société civile se mobiliser et proposer des solutions concrètes. Je pense que cette action, humanitaire d’abord, devient également politique. C’est la reprise en main de la chose politique par des citoyens qui sont face à des pouvoirs publics en léthargie coupable. Que la plateforme hébergement citoyenne soit toujours sur le terrain depuis un an et demi est très impressionnant. Informations sur les études * www.programmes.uliege.be/info/immigration-studies-in Pour poursuivre la réflexion Sibylle Gioe, Frontières, Papiers, Humains ! Banalité du mal et migration , Petite collection MSH, Presses universitaires de Liège, Liège, 2018. Jean-Michel Lafleur et Abdeslam Marfouk, Pouquoi l’immigration ? 21 questions que se posent les Belges sur les migrations inter- nationales au XXI e siècle, coll. “Carrefours”, Academia-L’Harmattan, Louvain-la-Neuve, 2017 (www.news.uliege.be/21questions) . Mescoli, E., Reidsma, M., Hondegem, A., Mazzola, A. & Roblain, A. Public opinion and forms of mobilization towards asylum seekers in Belgium. In A. Mazzola, A. Rea, P. De Cuyper, B. Meuleman, & M. Martiniello, The refugee reception crisis in anti-immi- grant times. Polarization of the public opinion, local mobilizations and reception practices in Europe . Brussels, Belgium: ULB Press. (à paraître en 2019). Réécouter aussi le débat organisé par La Première à l’ULiège le 2 avril “Nos démocraties vont-elles se fracasser sur le défi migratoire?” * https://www.rtbf.be/auvio/archives (Démocratie en question(s)). * Mooc “Migrations internationales : comment le mobilités transforment les sociétés?” : http://thema.ulg.ac.be/mooc/moocs-uliege/ défini selon des critères très limités, surtout en matière de régularisation des sans-papiers. En outre, le discours ambiant met en avant le fait que le migrant peut porter atteinte au budget de l’État et, in fine, menace le porte- feuille des citoyens. Ce qui alimente les discriminations. S.G. : Tout n’est pas mauvais. Par rapport à d’autres pays, la Belgique n’est pas le pire en matière de condi- tions d’accueil : les demandeurs ont accès à un héberge- ment, à une aide juridique, un accompagnement social, médical et psychologique. Cela étant dit, il y a une véri- table hypocrisie à réclamer un siège à l’ONU tout en enfermant des familles dans des centres fermés à côté d’un aéroport. L’Etat belge soumet des enfants à des traitements inhumains en toute connaissance de cause. Deuxièmement, on constate une invasion des idées et du vocabulaire d’extrême droite dans les discours qualifiés de centristes et dans la politiques menées. Par des raccourcis, des imprécisions, des contre-vérités ou encore l’usage de termes déshumanisants, politiques et médias alimentent la peur dans la population. Ce faisant, ils légitiment une politique brutale (procédures accélérées, violences policières, etc.).Troisièmement, l’État belge a toujours la possibilité, selon le règlement de Dublin, de privilégier sa responsabilité d’accueil plu- tôt que celle de l’État où les empreintes ont été enre- gistrées. C’est notamment ce qu’a fait l’Allemagne… Au contraire, l’état belge pratique une politique de désinformation des migrants qui les dissuade d’in- troduire une demande de protection internationale. Le gouvernement fédéral instrumentalise ensuite ce découragement en désinformant la population : “s’ils n’introduisent pas de demande d’asile, c’est qu’ils ne sont pas vraiment en danger. ” E.M. : Dans l’une des recherches auxquelles je par- ticipe, on s’aperçoit de la polarisation de l’opinion publique : c’est-à-dire qu’il y a, d’un côté, un discours qui vise à discriminer les migrants, et de l’autre, une partie de la population belge qui refuse ce discours et promeut des alternatives de pensée et d’action. Il y a des différences aussi au niveau des agents de la pro- cédure d’asile, depuis les témoignages de demandeurs de protection internationale et d’avocats, ou de tra- ducteurs aussi, qu’on a pu recueillir : si certains tentent de rendre humaines les interviews obligatoires et sont à l’écoute des personnes, d’autres, hélas, cherchent la faille lors d’une interview policière standardisée. C’est évidemment très difficile pour les migrants. La représentation véhiculée par les médias est également polarisée. Certaines métaphores, images et typologies finissent par résumer l’ensemble des réfugiés à un profil collectif et par alimenter la peur d’une “invasion” de la part d’individus dangereux. On supprime les his- toires individuelles pour créer une image stéréotypée, globale, qui n’existe pas ! D’un autre côté, il y a aussi des documentaires, des reportages, voire des films qui ré-humanisent et créent de l’empathie, mais attention à ne pas alimenter une victimisation des réfugiés : les individus sont des sujets actifs. S.G. : Une psychologue expliquait que tous les acteurs de terrain (avocats, administratifs, médecins, assistants sociaux, psychologues) étaient en quelque sorte des tuteurs de résilience. Pour les personnes en stress post-traumatique, le fait d’être aidées, accompa- gnées et soutenues par des interlocuteurs à l’écoute de leur besoin, leur permet de reprendre confiance et, progressivement, de se reconstruire. Les hébergeurs et associations font aussi une partie de ce travail social qui est vraiment remarquable. Elsa Mescoli Sibylle Gioe 60 61 mai-août 2019 / 273 ULiège www.uliege.be/LQJ mai-août 2019 / 273 ULiège www.uliege.be/LQJ le dialogue le dialogue

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