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Quatre laboratoires pour une plateforme Les polymères Le Centre d’étude et de recherche sur les macro- molécules de la faculté des Sciences (Cerm), pour sa part, travaille dans le domaine du CO 2 depuis une vingtaine d’années. Comme d’autres secteurs, il l’utilise bien sûr comme solvant vert en lieu et place de solvants organiques toxiques. Une manière, par exemple, de produire des polymères plus verts. Mais il l’utilise aussi comme agent porogène pour faire mousser les polyuréthanes ou d’autres matrices polymères (produites à partir du CO 2 ou non) qui vont servir à isoler les bâtiments rendant ainsi l’iso- lation plus verte. « Notre axe de recherche le plus important et le plus récent, précise Christophe Detrembleur, directeur de recherche FNRS, porte sur son utilisation comme matière première renouvelable pour la production de matériaux organiques . La plupart de ceux-ci sont pour le moment préparés à partir du pétrole. L’idée est d’utiliser le carbone du CO 2 pour concevoir des maté- riaux organiques sans avoir recours à la pétrochimie . » Une idée qui n’a vraiment rien d’absurde : la nature fait cela depuis toujours. Grâce à la lumière, les plantes transforment le CO 2 de l’air et l’eau en bio- polymères, matière organique dont elles sont faites : c’est la photosynthèse. Le but est donc de trouver des méthodes peu gourmandes en énergie qui per- mettent de transformer le CO 2 en matières plastiques, en mousses isolantes, en revêtements dépolluants, etc. Et cela fonctionne ! Même si des limites existent. « Tout d’abord , rappelle Christophe Detrembleur, le problème du réchauffement climatique ne va pas être résolu par la chimie du CO 2 . La chimie des polymères ne représente en effet que quelques pour-cents de l’utilisation du pétrole. Ensuite, la technologie de production des polymères à partir du pétrole est très éprouvée ; les procédés sont optimisés depuis long- temps. Il est donc très difficile d’en produire autre- ment de manière rentable. Les industriels sont inté- ressés, mais ils ne bougeront pas s’ils n’y sont pas obligés car les usines devraient être adaptées. Tant que la législation ne changera pas, la pétrochimie classique sera plus rentable . » L’autre chimie est pourtant prometteuse à bien des égards, et pas uniquement parce qu’elle utilise le CO 2 en lieu et place du pétrole. Une application étudiée par l’équipe du Cerm concerne les batte- ries organiques. Dans les batteries actuelles, c’est surtout le liquide qui permet le transport des ions lithium (inflammable) et les métaux lourds des élec- trodes qui posent problème. « Nous remplaçons ce liquide par un polymère produit par la chimie CO 2 , détaille Christophe Detrembleur. Et pour remplacer les électrodes en nickel et cobalt, nous nous inspi- rons de la nature : on fixe des molécules présentes dans la lignine – où s’échangent les électrons – contenue dans les végétaux sur des polymères syn- thétiques. » La lignine, un déchet extrait des végé- taux, donc… formé à partir de CO 2 ! La pharmacie Soyons de bon compte : les appli- cations sur lesquelles travaille le laboratoire du Pr Brigitte Evrard, le Centre interdisciplinaire de recherche sur le médicament dans le département de pharmacie, ne nécessitent pas le recours à des quantités significatives de CO 2 . Pas de quoi donc stopper le réchauf- fement climatique. L’intérêt n’est pas là : vilain petit canard en matière de climat, le CO 2 se mue ici en chevalier vert de l’industrie pharmaceutique. La fabrication des médicaments nécessite très souvent l’utilisation de solvants qu’il faut ensuite faire éva- porer. Mais les solvants utilisés sont des solvants organiques (comme l’acétone), souvent toxiques, pol- luants, dangereux et chers. « C’est pourquoi nous les remplaçons par du CO 2 supercritique , confie Brigitte Evrard. Dans cet état, le CO 2 n’est plus tout à fait un gaz, pas encore vraiment un liquide mais il a des propriétés des deux états. En fin de processus de fabrication, il suffit de dépressuriser l’ensemble ; le CO 2 redevenu gazeux s’échappe et il reste le principe actif et le support. » Lequel CO 2 peut être récupéré pour que le système fonctionne en circuit fermé. Le recours au CO 2 présente en outre un second intérêt. « Un médicament est souvent administré par voie orale , rappelle Brigitte Evrard : il doit se dissoudre dans les sucs digestifs. Ce n’est qu’ensuite qu’il peut passer dans le sang et agir au niveau des récepteurs. Si le principe actif se solubilise difficilement dans les sucs digestifs, il va agir faiblement, l’essentiel étant éliminé . » Or, on rencontre aujourd’hui beaucoup de principes actifs peu solubles dans l’eau et dans les fluides digestifs. Leur biodisponibilité – quantité de principe actif qui arrive dans la circulation générale – est souvent inférieure à 20%. « En utilisant du CO 2 à l’état supercritique comme solvant, nous parvenons justement à améliorer la solubilité aqueuse du principe actif, précise Brigitte Evrard . La dépressurisation rapide du gaz le rend en effet amorphe au lieu d’être cristallin. Et un produit amorphe se dissout bien plus facilement qu’un cristal. » Pour aller plus loin La plateforme FRITCO 2 T sera l’invitée d’une soirée Liège Créative, le mardi 10 décembre à 18h30 au château de Colonster, campus du Sart-Tilman, 4000 Liège * informations et inscriptions sur www.liegecreative.be La construction Le laboratoire du Pr Luc Courard, Urban and Environmental Engineering, étudie la carbonata- tion des matériaux. Fabriquer du béton revient en fait à transformer un liquide (la pâte de ciment) en solide. Une transformation qui s’accompagne de production de chaux ou hydroxyde de calcium (Ca(OH) 2 ). Et celle-ci capte du CO 2 (on dit qu’elle se carbonate) pour former du carbonate de cal- cium : Ca(OH) 2 + CO 2 ® CaCO 3 + H 2 O. Un phéno- mène positif, quand le béton n’est pas armé, car le carbonate bouche les pores du béton, le rendant ainsi plus résistant. Le laboratoire de l’ULiège a développé deux axes de recherche en matière de carbonatation. « Nous travaillons tout d’abord sur des déchets de béton , explique Luc Courard. Il reste en effet toujours une partie de chaux qui n’a pas été carbonatée. Nous essayons donc de carbonater cette part – on injecte du CO 2 – afin de rendre le granulat recyclé plus résistant pour une utilisation dans un nouveau béton. » Le deuxième domaine est plus étonnant sans doute. Ici, les chercheurs ne partent pas de granu- lats rocheux mais végétaux, tiges de bambou, mis- canthus ou roseaux broyés. Ils déposent ensuite une couche minérale sur le végétal, une sorte de laitance fabriquée à partir d’eau, de chaux et de ciment, ce qui permet de composer des blocs de béton légers, isolants, parfaits pour réaliser par exemple des cloisons avec une bonne isolation thermique. « Ces blocs sont cependant moins résistants que ceux en béton classique, précise le Pr Courard. D’où, à nouveau, l’injection de CO 2 sous pression pour carbonater le matériau et le rendre plus résistant . » Le carburant Le département de Chemical Engineering étudie le captage de CO 2 à travers la modélisation et l’opti- misation énergétique des systèmes. « Les installa- tions de captage en post-combustion nécessitent de l’énergie car il faut régénérer le solvant dans lequel le CO 2 est piégé , explique Grégoire Léonard. Nous étudions donc les interactions entre les dif- férents composants de l’usine mais aussi la stabi- lité du solvant. C’est un point important, sinon on risque de relâcher d’autres gaz qui peuvent s’avé- rer polluants. » L’essentiel des recherches du laboratoire porte sur la production de méthanol à partir du CO 2 . « Une économie basée sur l’éthanol, comme il y a aujourd’hui une économie du pétrole, est pos- sible , estime Grégoire Léonard. Cependant, à l’heure actuelle, on ne peut lutter contre les prix du pétrole. Les carburants synthétiques doivent être fabriqués, le pétrole pas. Tant que les coûts indirects du pétrole ne sont pas pris en compte, la production d’éthanol ne sera pas rentable. » J.-L. Wertz 46 septembre-décembre 2019 / 274 ULiège www.uliege.be/LQJ 47 septembre-décembre 2019 / 274 ULiège www.uliege.be/LQJ omni sciences omni sciences

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