Hommage au Professeur André Monfils, créateur du CSL


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Le Professeur André Monfils, créateur du CSL, est décédé ce lundi 2 mars 2020 à l’âge de 94 ans. Nous avons souhaité lui rendre hommage en republiant un article paru en 2011 qui retraçait le parcours de ce pionner de l’optique spatiale liégeoise.


Un texte rédigé par Théo Pirard
 
Il y a cinquante ans, dans l’orbite du professeur Pol Swings (1906-1983), André Monfils, un jeune professeur de l’Institut d’Astrophysique de Liège, rassemblait autour de lui une équipe de chercheurs et techniciens pour réaliser des expériences au moyens d’instruments optiques. Cette équipe connue sous le nom d’IAL Space, a grandi pour devenir le CSL (Centre Spatial de Liège) au cœur d’un « spatiopôle ».

Spectroscopie

André Monfils est le « père » de l’optique spatiale liégeoise. L’association Promoptica , qu’il a créée et animée, lui a rendu hommage au début de ce printemps au Centre Spatial de Liège. C’est son successeur à la tête d’IAL Space, Claude Jamar - aujourd’hui l’administrateur délégué de la société AMOS -, qui a rappelé le rôle clef du professeur Monfils. Un rôle qui a permis à l’Université de Liège d’acquérir sa renommée pour les expériences dans l’espace avec des systèmes optiques.

Originaire de Blankenberge, où il est né le 25 juillet 1925, André Monfils obtient sa licence en chimie à l’ULB, mais c'est à Liège qu'il réalise sa thèse de doctorat en physique. Cette thèse, défendue en novembre 1952, est l’occasion de se spécialiser dans la science, alors en plein essor, de la spectroscopie moléculaire. Ses travaux en spectroscopie infrarouge, Raman et acoustique, en résonance nucléaire quadripolaire donnent lieu à une trentaine de publications qui constituent des références. Au milieu des années 50, il est à Harvard et à Ottawa pour des activités de recherche sous le patronage de Gerhard Herzberg, le Prix Nobel 1971 de Physique. Avec celui-ci, il cosigne des articles sur les molécules d’hydrogène et de deutérium dont la connaissance représente une étape majeure en astrophysique.

De retour au pays en 1958, André Monfils se met au service de l’Année Géophysique Internationale (1957-1958). Aux côtés de Pol Swings, il contribue à l'excellence de la recherche belge. C’est durant cette période que débute l’ère spatiale avec les lancements des premiers satellites en URSS (Spoutnik) et aux Etats-Unis (Explorer). Il devient ainsi possible d’aller « in situ » étudier la haute atmosphère terrestre et observer les effets du rayonnement solaire sur son comportement. L’Europe, qui se doit d’être présente avec ses compétences, éprouve des difficultés à prendre des décisions de manière concertée et coordonnée. Mais la Belgique se montre déterminée à faire éclore et triompher cette coopération européenne dans l’espace. A partir de 1960, les professeurs Swings et Monfils en sont les grands artisans : ils participent à la mise sur pied d’un programme européen de science spatiale au moyen de fusées-sondes et de satellites.

A l’Institut d’Astrophysique de Liège, le Groupe d’expériences dans l’UV (ultraviolet) lointain ou Service d’Optique et de Physique Spatiale se met en place sous la direction d’André Monfils. C’est une équipe dynamique de jeunes chercheurs qui s’impliquent dans trois programmes qui sont proposés à la COPERS (Commission Préparatoire Européen de la Recherche Spatiale) pour son premier plan quinquennal d’activités avec fusées-sondes et satellites:
- l’étude d’un nuage d’ammoniaque formé par une fusée-sonde dans l’atmosphère ;
- le lancement d’un spectrographe UV dans une aurore polaire ;
- la cartographie par satellite de la voûte céleste dans l’UV.
La COPERS donne naissance en 1962 à l’ESRO, l’Organisation Européenne de Recherche Spatiale, qui deviendra opérationnelle en mars 1964 et constituera, dix ans plus tard, la base de l’ESA (Agence Spatiale Européenne). 

Premier objectif du Service d’Optique et de Physique Spatiale à sa portée : la spectroscopie UV des aurores polaires grâce à des fusées-sondes lancées depuis le Centre Esrange de Kiruna (Suède). Cette équipe de pionniers du programme européen de fusées-sondes essuie les plâtres en étant confrontée aux aléas de la technologie spatiale de l’époque.

La première expérience avec le spectromètre R81, réalisé et testé à Cointe, a lieu le 20 novembre 1966, mais ne donne aucun résultat, car la coiffe de la fusée française Centaure ne s’est pas éjectée. Les 11 vols suivants de Centaure, entre février 1967 et novembre 1971, vont permettre l’analyse des interactions entre les particules du vent solaire et notre environnement atmosphérique. On doit cette implication d’IAL Space au soutien des Services belges de la Politique scientifique. 

Premières lettres de noblesse

IAL Space, sous la houlette du Professeur Monfils, fait appel à l’industrie belge pour développer les instruments qui volent à bord de fusées lancées de Kiruna (Suède), d’Andoya (Norvège) et de Fort Churchill (Canada). Il a pour partenaires industriels la SABCA pour la mécanique et ETCA (Thales Alenia Space ETCA) pour l’électronique. Il acquiert ses lettres de noblesse avec le télescope stellaire UV - l’expérience S2/S68 - à bord du premier satellite européen d’astronomie TD-1.

IAL TD1 

L'équipe dynamique d'IAL Space en train de préparer

Cet équipement, inédit en Europe, constitue le grand pas d’IAL Space, au sein de l’ULiège, dans l’exploration de l’espace. Son développement met les chercheurs liégeois au contact de Matra (aujourd’hui, le fabricant de satellites EADS Astrium). Le Professeur Leo Houziaux de la Faculté polytechnique de Mons, où il développe le Département d’Astrophysique avec un laboratoire de spectroscopie atomique, est associé à la préparation scientifique et à l’exploitation des observations du télescope. 

Afin d’étalonner l’instrument de vol - un télescope de 0,27 m couplé à un spectromètre - dans des conditions proches de l’environnement spatial, l’Institut d’Astrophysique de Liège doit se doter d’une cuve de simulation spatiale pour des tests de calibration photométrique sous vide. Si l’ensemble est développé par un maître d’œuvre français, la cuve de 2 m de diamètre et 5 m de long, où l’on crée un vide poussé et des variations thermiques, voit le jour aux Ateliers de la Meuse, à Liège. L’entreprise liégeoise, qui donne naissance en 1983 à AMOS, se fait ainsi la main dans la réalisation de simulateurs spatiaux: le FOCAL-2  (Facility for Optical Calibration at Liege) est toujours opérationnel aujourd'hui dans l’infrastructure des moyens d’essais du CSL.

Focal2 CSL 

Le simulateur Focal-2 es toujours opérationnel : il sert à des essais dans une ambiance ultra-propre.
 

Il faudra cinq années, de janvier 1967 à 1972, pour que l’instrument S2/S68 devienne réalité. La société carolorégienne ETCA conçoit et développe sa micro-électronique. Le satellite de 473 kg est lancé le 12 mars 1972 par un lanceur américain Thor-Delta (à l’origine de l’acronyme TD) de la base militaire de Vandenberg en Californie. Mais les expérimentateurs de TD-1 n’allaient pas être au bout de leurs peines. Deux mois après la mise sur orbite, les deux enregistreurs de bord tombent en panne. Un plan de sauvetage passe par la mobilisation globale d’un réseau de stations pour recueillir en direct les données. L’observatoire va fonctionner, avec des hauts et des bas, jusqu’en mai 1974. Il permet d’établir deux catalogues de spectres d’étoiles dans l’ultra-violet qui restent, aujourd'hui encore, des outils de référence pour l'étude des étoiles chaudes.

Des lendemains qui déchantent

Pour IAL Space et la poursuite de ses activités au service de l’Europe spatiale, TD-1 a des lendemains qui déchantent. Le choc pétrolier de 1973 oblige les Etats à réduire la voilure de leurs investissements en science et technologie.

Le Professeur Monfils doit affronter une crise provoquée par une compression du budget spatial alloué à l’ULiège. Il doit gérer une situation dramatique avec des ressources qui sont réduites de moitié, passant de 24 à 13 millions de francs belges de l'époque (de 0,6 à 0,3 millions €). Or, la technologie spatiale exige d’importants subsides. Elle passe par une collaboration plus étroite avec l’industrie - notamment avec Matra – non seulement pour les essais de systèmes optiques mais aussi pour la conception et le développement d’instruments innovants. André Monfils, conscient de cette nécessité, est sur le qui-vive et doit manœuvrer délicatement. D'autant que le déploiement d'une activité à caractère industriel n'est pas du goût de tout le monde au sein de l'université.

De cette épreuve pour sa survie, IAL Space sort finalement grandi. Le Professeur Monfils, dont la ténacité a prévalu, et son équipe, qui sont habitués à relever les défis scientifiques et technologiques, doivent relever un autre défi de taille en mettant leur outil de recherche et d’étalonnage à la disposition de l’Europe spatiale. Le radiomètre que Matra réalise pour Meteosat-1, le premier satellite européen de météorologie, vient à Liège pour sa calibration optique. L’avenir d’IAL Space passe par la signature, en 1975, d’un protocole d’accord entre l’Université de Liège et l’ESA (European Space Agency). L’intégration du savoir-faire de l’infrastructure liégeoise dans un réseau européen de moyens d’essais spatiaux signifie la reconnaissance d’IAL Space comme pôle d'excellence en Europe pour la qualification d'instruments opto-électroniques qui doivent fonctionner dans les conditions extrêmes de l'espace.

Avenir européen

Cette solution de faire d’IAL Space une facilité coordonnée de l’ESA sauve l’équipe du professeur Monfils et préserve des compétences technologiques qui participaient à la renommée de l’Université dans le domaine spatial. La qualité de ses prestations pour l’ESA et l’industrie spatiale européenne se trouve confirmée pour le détecteur européen du satellite Hubble Space Telescope (HST) de la NASA, ainsi que pour la mission Giotto d’une sonde européenne vers la fameuse Comète de Halley. La Halley Multicolour Camera (HMC) qui réussit le 14 mars 1986 à prendre les premières vues rapprochées - jusqu’à quelque 600 km- d’un noyau cométaire fut calibrée par IAL Space dans FOCAL-2. Mais ce simulateur devient trop exigu et ses performances sont trop limitées. Surtout que les satellites de l’ESA deviennent plus ambitieux, complexes et volumineux…

IAL Space, afin de tester l’optique du satellite d’astrométrie Hipparcos réalisé par Matra, conçoit FOCAL-5 d’un diamètre de 5 m et de 6,6 m de long. Ce nouvel outil de simulation dans le vide est financé par l’ESA et réalisé par la PME AMOS (Advanced Mechanical and Optical Systems) qui est créée en 1983 au sein des Ateliers de la Meuse. En 1984, pour accueillir FOCAL-5, IAL Space, avec le support financier de la Région Wallonne - grâce aux Ministres Jean-Maurice Dehousse et Melchior Wathelet -, s’installe dans le Parc scientifique du Sart Tilman. Un bâtiment de quelque 4.000 m² - propriété de l’Université - est construit autour d'une salle propre qui abrite trois cuves de simulation. Le financement Prodex auquel contribue la Belgique, fait participer l’Université de Liège à bon nombre de missions scientifiques sur orbite pour l’étude du Soleil, l’analyse des aurores, la connaissance de l’Univers. Et une équipe d’ingénieurs entreprend de réamorcer l’activité, qui avait marqué les débuts d’IAL Space, de conception et de développement d’instruments originaux et innovants pour des satellites, tant de l’ESA que de la NASA.

En 1988, sous l’impulsion de la Région Wallonne, IAL Space assiste à la naissance, dans son voisinage et avec des membres de son personnel, des jumeaux Spacebel, deux entreprises  commerciales de systèmes spatiaux :
  • Spacebel Instrumentation qui déposera son bilan en 1997 ;
  • Spacebel Informatique qui devient un spécialiste européen des systèmes intelligents sur orbite, notamment avec les micro-satellites PROBA « made in Belgium » du programme technologique de l’ESA.

En 1991, le fondateur et directeur d’IAL Space accède à la retraite : le Professeur Monfils est remplacé par Claude Jamar, l’un de ses étudiants et chercheurs. A partir d’avril 1992, IAL Space affiche de nouvelles ambitions en prenant le nom de Centre Spatial de Liège (CSL). Son objectif est d’apporter une contribution essentielle à la reconversion économique du bassin industriel liégeois.

En 2001, Wallonia Space Logistics (WSL) prend forme avec le soutien du gouvernement wallon pour devenir le premier incubateur en Europe de jeunes entreprises dans des produits et services à haute valeur ajoutée qui sont dérivés des travaux de recherche et de développement dans les techniques de l’espace et les sciences de l’ingénieur. De son côté, A. Monfils a créé sa petite société : NEOC (New Electro-Optical Concepts) lui permet de rester actif dans le domaine des instruments optiques.

CSL 2009

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