COVID-19 et confinement : opinion

« Cette crise révèle l’urgence de prendre en compte la solitude et la détresse psychologique de nos aînés »

Le point sur la santé mentale des seniors


Qu'en est-il de la santé mentale des personnes âgées en cette période de confinement ? Qu'est-ce que le "syndrome de glissement" observé actuellement dans les maisons de repos et de soins ?  

Entretien avec le Pr Stéphane Adam, responsable de l’Unité de Psychologie de la Sénescence à l’Université de Liège. Il évoque également deux initiatives concrètes de l'ULiège tournées vers le public des seniors : une plateforme en ligne de soutien psychologique et un appel aux étudiant·e·s volontaires.

 

La santé mentale des plus âgés doit être davantage prise en considération, dites-vous. Quels sont les problèmes en cette période de confinement ?

De façon générale, la santé mentale a toujours été sous-considérée dans le contexte du vieillissement, et probablement encore plus dans le milieu institutionnel. La crise sanitaire exacerbe encore plus ces éléments. Différents faits concrets permettent d’étayer ce propos. D’abord, la Ministre de la Santé publique, Maggie De Block, a récemment mis en place une politique permettant le remboursement par la Sécurité sociale des huit premières prestations des psychologues. Comme cette politique « coûte », elle a été orientée vers les personnes âgées de 18 à 64 ans ! Et les seniors là-dedans ? À noter cependant que dans le contexte de la crise COVID-19 et de la mise en évidence claire du trop peu de considération des dimensions « détresse psychologique » et « solitude », Maggie De Block a proposé le 2 avril dernier d’étendre l’accès à ce remboursement des consultations psychologiques pour les plus de 65 ans.

Ensuite, dans les institutions pour personnes âgées, les problèmes de santé mentale sont essentiellement abordés du point de vue médical et médicamenteux. Une enquête récente des Mutualités chrétiennes avait d’ailleurs montré une large tendance à la sur-prescription (pas toujours de façon appropriée) d’antidépresseurs et d’antipsychotique. Il faut savoir que des études récentes suggèrent tous les effets délétères pour les personnes âgées de ces traitements qui augmentent le risque de chutes ou de développer des pathologies comme la maladie d’Alzheimer, mais également la mortalité des seniors ! Les auteurs soulignent souvent qu’il faut donc pouvoir privilégier des approches non-médicamenteuses. Paradoxalement pourtant, il y a très peu de psychologues engagés dans les institutions pour personnes âgées. Les structures impliquant un psychologue sont plutôt l’exception que la règle. En tout cas, il n’y a aucune obligation pour une structure, dans les normes d’encadrement, d’intégrer un psychologue. À l’inverse, le soin (dans le sens médical) est extrêmement présent. Par comparaison, il n’y a pratiquement pas une structure pour personnes porteuses de handicap qui n’intègre (au moins) un psychologue.

On entend parler du « syndrome de glissement », observé actuellement notamment dans les maisons de repos et de soins. De quoi s’agit-il ?

Ce syndrome a toujours interpellé les professionnels dans le milieu gériatrique. À situation clinique égale (par exemple deux patients âgés avec la même situation médicale), comment expliquer une récupération spectaculaire de l’un (on parle alors de la résilience de la personne âgée) ou un décès rapide de l’autre avec l’impression qu’il s’est laissé mourir : c’est ici qu’intervient le concept de « glissement ». Le syndrome de glissement correspond donc à la détérioration rapide de l’état général d’un patient âgé qui s’accompagne d’anorexie et d’un désir de mort plus ou moins directement exprimé, un renoncement passif à la vie. Le patient refuse alors les soins et de s’alimenter. La mort peut en conséquence survenir très rapidement, en quelques jours ou tout au plus quelques semaines.

Vous avez pris l’initiative d’une plateforme en ligne pour apporter une aide psychologique aux résidents et personnels des maisons de repos et de soins. Quel est le suivi et les conseils que peut donner l’Unité de Psychologie de la Sénescence de l’ULiège ?

Il nous semble essentiel d’aborder directement et ouvertement avec les résidents ces questions de la solitude et de la détresse psychologique. On a parfois tendance à éviter ces sujets croyant que cela pourrait alimenter le problème plus que de le solutionner. Au contraire, faire de l’évitement est la moins bonne solution. C’est pour cela que nous avons mis à disposition sur notre site un petit questionnaire très simple à destination des professionnels. L’intérêt via cet outil est justement d’interroger, et donc d’aborder, clairement ces éléments avec les personnes âgées. Par ailleurs, cela permet plus facilement d’identifier les résidents qui souffrent plus fortement de solitude, et donc de cibler une action de façon prioritaire pour ceux-ci, soit via des consultations psychologiques, soit en renforçant le contact avec la famille. Ce contact peut se faire via l’usage des nouvelles technologies, si cela ne peut se faire physiquement.

Surtout, si clairement on est face à un syndrome de glissement, il nous semble alors primordial de pouvoir permettre aux familles, dans la mesure du possible, d’être au chevet de la personne âgée (moyennant les précautions nécessaires en matière sanitaire).

Parallèlement, vous avez lancé un appel à volontaires auprès des étudiants. Quel est ici le projet ?

Un certain nombre d’appels à volontaires ont été organisés dans les universités et les hautes écoles. Souvent ces appels étaient orientés vers des étudiants pouvant apporter une aide technique aux institutions (on pense aux professions médicales et paramédicales). L’idée pour nous était d’étendre cet appel à volontaire à l’ensemble des étudiants quelle que soit leur formation, ou leur âge. Malgré le contexte particulier pour les étudiants (en particulier avec la proximité des examens), 120 ont répondu à cet appel. Nous sommes touchés par cette mobilisation. Plus de 50% d’entre eux n’ont aucune compétence technique et viennent de toutes les sections. Leur aide pourrait néanmoins être très utile pour justement manipuler avec les résidents les technologies (visioconférence et autres) afin de favoriser le lien famille/résident, voire même simplement pour être en relation avec les résidents, et donc limiter autant que faire se peut leur sentiment de solitude.

FacPsy 308 SLe Pr Stéphane Adam est responsable de l’Unité de Psychologie de la Sénescence à l’Université de Liège, en Faculté de Psychologie, Logopédie et Sciences de l'Éducation.

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Photo: Alexander Raths for Shutterstock

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