L’Université de Liège se dote d’un laboratoire d’ingénierie neuromorphique  


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Hébergé au sein de l’Institut Montefiore de la Faculté des Sciences appliquées de l’Université de Liège, le nouveau laboratoire d’ingénierie neuromorphique* rassemble les compétences d’ingénieurs, d’informaticiens et de biologistes qui s’intéressent au développement de composants électroniques qui permettront de reproduire les activités d’un cerveau biologique, tout en réduisant leurs impacts énergétiques. Des technologies qui pourraient permettre non seulement de venir en aide à l’être humain, mais aussi de réduire de manière substantielle notre consommation d’énergie.  

C'

était en mars 2016, le programme du superordinateur de Google, AlphaGo, battait Lee Sedol, maître du jeu de Go. Un exploit considéré à l’époque comme l'une des étapes les plus importantes de l'intelligence artificielle (IA) moderne. Un exploit qui s'accompagnait pourtant de quelques réserves … alors qu'AlphaGo consommait environ 1 mégawatt d'énergie pour se concentrer strictement sur la tâche spécifique à accomplir, le cerveau de Lee Sedol fonctionnait avec 50 000 fois moins d'énergie (environ 20 watts), non seulement pour se concentrer sur le jeu, mais aussi pour maintenir ses fonctions sensorielles, motrices et vitales. Similairement, les systèmes robotiques modernes sont en effet capables de résoudre des tâches lourdes - souvent bien au-delà des capacités humaines – mais ces machines consomment toutefois beaucoup d'énergie, sont optimisées de manière rigide pour effectuer des tâches spécifiques et sont difficilement capables de faire face à des événements inattendus.  

C’est de ce constat qu’est née l’ingénierie neuromorphique, une nouvelle discipline qui combine les neurosciences, l’informatique, et l'ingénierie et qui cherche à concevoir et à développer des systèmes informatiques capables d'effectuer des tâches telles que la perception, la cognition et la prise de décision d'une manière proche de celle du cerveau, tout en limitant l’impact énergétique. Un défi majeur pour les scientifiques qui voient en cette nouvelle discipline une réelle opportunité pour la conception de matériel, le développement d'algorithmes et d’applications dans divers domaines tels que la robotique, l'intelligence artificielle et les neurosciences. Une technologie pleine de promesses mais qu’il faut d’abord apprivoiser tant l’enjeu est grand, et le risque important.   

« On en est aux prémices, explique Alessio Franci, nouveau chargé de cours à l’ULiège et spécialiste dans le domaine. La neuro-ingénierie est en train de monter et de se développer dans quelques universités dans le monde. Nous sommes pourtant encore loin des technologies utilisées comme le machine learning (apprentissage automatique). Se lancer dans le neuroengineering est un risque car il y a une demande et un potentiel énorme mais nous n’en sommes encore qu’au stade du concept.» Malgré les risques et forte de son expertise dans le domaine de l’intelligence artificielle, l’Université de Liège a choisi de relever le défi en se dotant d’un centre de recherches en ingénierie neuro-morphique. Ce laboratoire, logé au sein de la Faculté des Sciences appliquées, est piloté par Guillaume Drion, Alessio Franci, Jean-Michel Redouté et Pierre Sacré, quatre professeurs et chercheurs reconnus pour leurs expertises dans le domaine de l’IA et de la neuroingénierie. Des thèses de doctorat, comme celles de Loris Mendolia et Antoine Debor, assistants au sein du département d’ingénierie électrique et informatique, et les recherches de Kathleen Jacquerie, aspirante FNRS au sein de l'unité de recherche, s’intéressent déjà au développement et à la mise en pratique d’applications issues de l’ingénierie neuromorphique. «Nous sommes fiers et enthousiastes que notre université nous permette de développer un tel laboratoire malgré les risques, reprend Guillaume Drion. Un risque assumé qui va nous permettre de positionner l’ULiège au niveau mondial et de rivaliser avec de très grandes institutions, car nous serons un des rares laboratoires qui va tenter de développer la technologie.»  

Software, hardware, wetware

Alliant l’enseignement à la recherche - deux des trois piliers fondamentaux des universités – le laboratoire va permettre d’accueillir des étudiant·es et jeunes scientifiques pour développer la discipline, encadrés par leurs professeurs. Leurs recherches vont se déployer autour de trois grands axes : le software, le hardware (électronique) et le wetware 

La robotique adaptive va permettre de développer des algorithmes neuro-inspirés pour faire de la manipulation fine et adaptative, comme celle que l’on l’observe sur l’être humain. Pour ce faire le laboratoire va se doter d’un bras robotique munis d’une main anthropomorphe, sur laquelle on retrouve de capteurs sensoriels permettant d’étudier la préhension et la gestion des mouvements.  

Les chercheurs s’intéresseront également à l’électronique et au traitement des signaux, afin d’implémenter une intelligence neuromorphique au niveau de l’électronique. « On parle ici de descendre  jusqu’au niveau du transistor - les composants microscopiques à la base des circuits intégrés modernes - qui permettent de contrôler et/ou d’amplifier des courants électriques - et de traiter les signaux de manière analogique, explique Jean-Michel Redouté. Ce qui constitue un des gros challenges de l’ingénierie neuromorphique qui vise à s’éloigner de la structure des ordinateurs et automates classiques.»  

Enfin le laboratoire disposera d’un wet lab - un laboratoire humide - qui va permettre de tester les interactions entre électronique et tissus biologiques. « Nous allons travailler sur les Brain on Chip, une technologie développée par l’IMEC - un pôle de recherche et d'innovation belge pionnier reconnu comme l'un des principaux centres mondiaux de recherche et développement en nanoélectronique et technologies numériques, se réjouit Pierre Sacré. Cet outil va nous permettre de développer des tissus artificiels sur des matrices multi-électrodes d'enregistrement très denses d’enregistrement afin de développer des réseaux de neurones biologiques où l’on pourra enregistrer et stimuler chaque neurone séparément. » Pour ce faire, le laboratoire va travailler en étroite collaboration avec le GIGA Stems Cells, dirigé par Laurent Nguyen, un laboratoire de l’ULiège spécialisé dans le domaine de la neuro genèse. Une collaboration qui va leur permettre de mieux appréhender la plasticité des neurones et  manière dont ils se structurent.

Assister l’humain, pas le remplacer 

Quand on évoque l’IA, la question se pose toujours quant au développement de telles technologies au niveau sociétal. L’apport de cette discipline pour l’avenir de l’homme reste un réel challenge. Arriver à comprendre et traduire de manière scientifique et technologique le fonctionnement d’un cerveau biologique au niveau robotique constitue un réel défi. Des applications très concrètes comme le développement de prothèses intelligentes et adaptatives chez des personnes qui ont perdu un membre ou encore de réduire la charge énergétique et physique de matériel embarqué pour des missions spatiales sont deux parmi les nombreux exemples de ce que la maîtrise de cette discipline pourrait offrir. « On ne parle pas ici d’entrer en compétition avec des logiciels d’IA tels que ChatGPT, reprend Guillaume Drion, notre volonté est de développer une technologie beaucoup plus porche de l’intelligence humaine afin de pouvoir interagir avec l’Homme de manière hyper intégrée et résiliente.»  

Après avoir bénéficié d’un financement fédéral pour sa mise en place, le laboratoire souhaite à terme devenir complètement autonome au niveau de sa gestion. Avec des géants de l’industrie tels que Sony, Samsung ou encore Intel qui travaillent au développement de cette technologie, l’Université de Liège se positionne aujourd’hui clairement comme un acteur majeur de ce changement en travaillant au développement de systèmes capables d'apprendre, de s'adapter et d'effectuer des tâches complexes avec une grande efficacité énergétique, ce qui les rendra plus appropriés pour des applications dans des domaines où les approches informatiques traditionnelles restent limitées.  

Vos contacts à l’ULiège  

Guillaume Drion 

Alessio Franci 

Pierre Sacré 

Jean-Michel Redouté 

Loris Mendolia 

Kathleen Jacquerie 

Antoine Debor


* Le terme "neuromorphique" combine "neuro" – qui signifie lié au système nerveux -et "morphique" - qui signifie forme- , indiquant l'objectif de créer des systèmes qui imitent la morphologie et le comportement des réseaux neuronaux.

Image: Shutterstock


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ODD 3 : Bonne santé et bien-être
Donner aux individus les moyens de vivre une vie saine et promouvoir le bien-être à tous les âges Le troisième objectif vise à assurer la santé et le bien-être de tous, en améliorant la santé procréative, maternelle et infantile, en réduisant les principales maladies transmissibles, non transmissibles, environnementales et mentales.

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