COVID-19 et (dé)confinement : opinion

Une "class action" contre la Chine ?

Regard d'un professeur en Droit judiciaire


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Des voix s’élèvent dans le monde contre la Chine, qui aurait tardé à communiquer des informations sur l’émergence du nouveau virus à Wuhan. L’idée de « faire payer » la Chine se répand comme le virus, et aux États-Unis essentiellement, au regard du nombre de morts et des pertes économiques des entreprises et des particuliers, des class actions sont en train de s’organiser.

Pourtant, comme le confirme Hakim Boularbah, professeur en Droit judiciaire à l’ULiège et avocat, spécialiste en droit des litiges internationaux, ces procédures auront très peu de chances d’aboutir. Pour lui, « une class action contre la Chine se heurterait frontalement à l'immunité de juridiction dont elle bénéficie et serait très vraisemblablement déclarée irrecevable ».


On évoque la possibilité de « class actions » à l’encontre de la Chine, pointant une responsabilité dans l’apparition du Sars-Cov-2. Mais d’abord, qu’est-ce qu'une class action ?

Une class action est une action en justice, généralement en vue d'obtenir une indemnisation, qui est introduite au nom et pour le bénéfice d'un grand nombre de personnes qui sont toutes victimes des agissements fautifs d'un même responsable (généralement une entreprise, parfois un pouvoir public). Le phénomène est surtout connu en Amériques du Nord et du Sud. Les États-Unis sont célèbres pour ce type de procédure qui sont introduites dans des contextes multiples (implants mammaires, cigarettiers, Round-up,...). Le mécanisme a été introduit en Belgique en 2014. Depuis lors, plus de huit « actions en réparation collective » (nom belge de la class action) ont été introduites par Test-Achats, qui dispose en la matière d'un monopole de fait, contre Thomas Cook, la SNCB, Proximus, Facebook, Ryanair,...

Comment la responsabilité juridique de la Chine pourrait-elle être établie ? Par qui ?


La responsabilité internationale d'un État souverain n'est pas soumise aux règles ordinaires qui s'appliquent aux entreprises ou aux particuliers. Elle est régie par le droit international public. Ce corps de règles prévoit un principe de base qui est celui-ci de l'immunité souveraine des États. Ce principe empêche que la responsabilité d'un État étranger, pour des actes accomplis dans le cadre de ses prérogatives de puissance publique (dont fait incontestablement partie la gestion d'une crise sanitaire), puisse être mise en cause devant les tribunaux d'un autre État que ceux de l'État concerné. En bref, une action en responsabilité contre la Chine n'est en principe possible que devant les tribunaux chinois.

Il existe aussi des possibilités pour les États d'attraire un autre État devant la Cour internationale de Justice mais la Chine n'a pas accepté de se soumettre à la compétence générale de la Cour et ne pourrait donc s'y voir attraite. Une autre source de responsabilité potentielle d'un État est la violation d'une Convention internationale à laquelle il aurait souscrit. Dans ce cas, on pourrait envisager une méconnaissance par la Chine de la CITES, la Convention sur la protection des espèces menacées, comme le pangolin, et l'interdiction de leur commerce. Mais ici aussi, la Cour Permanente d'Arbitrage ne pourrait connaître d'une éventuelle action en responsabilité que si la Chine l'accepte...


Des citoyens, ou des entreprises, pourraient-ils se regrouper pour intenter des class actions ? Quelles conditions faudrait-il réunir ?

Il n'existe pas de règles uniformes. Les conditions pour introduire une class action dépend des règles nationales de chaque pays. Généralement, on exige la démonstration d'une identité suffisante de situations et de préjudice entre les victimes et une identité des questions à résoudre dans le cadre de la class action. Ceci justifie alors que l'ensemble des victimes puissent être représentées dans une seule procédure et bénéficier de son résultat. Pour les raisons qui viennent d'être indiquées, une class action contre la Chine se heurterait frontalement à l'immunité de juridiction dont elle bénéficie et serait très vraisemblablement déclarée irrecevable.

Hakim-BoularbahHakim Boularbah est professeur en Droit judiciaire à l’ULiège et membre de l'Unité de Recherche Cité consacrée aux enjeux de Gouvernance, Justice et Société au sein de la Faculté de Droit, de Science Politique et de Criminologie de l'ULiège.  Il est par ailleurs avocat au Barreau de Bruxelles, spécialiste en droit des litiges internationaux.
© Photo : Brett Sayles for Pexels

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